Rapidement, le groupe revint en arrière afin d'installer le balancier proposé par Jean. Comment les démons avaient réussi à passer ce gouffre de cinq mètres au cœur de l'escalier n'était pas évident aux yeux des aventuriers. Peut-être avaient-ils usé de sorts de vol, ou avaient-ils été transportés sur cette courte distance par l'un d'entre eux passé sous une forme animale ailée, comme leur adversaire druide fuyard ?

Avec le même ordre de marche, les compagnons descendirent à nouveau les escaliers. Arrivés au niveau de la difficulté, ils pouvaient passer les uns après les autres en s'aidant de la corde...

Décidé à avancer au plus vite, Jean se saisi de son fidèle compagnon canin pour franchir la passe.

Après quelques minutes encore perdues à cause de cet obstacle, les aventuriers sentaient l’urgence de la situation. Quel rituel ces démons avaient-ils décidé d’appliquer ? Quelles en seraient les conséquences ? Il fallait agir vite, et si Jean aurait bien aimé installer une passerelle en cet endroit, il n’en avait pas le temps. Seul, il passa les trois animaux par-dessus le vide. Puis il put aider les compagnons qui avaient des difficultés à passer.
Enfin, la compagnie continua sa descente dans les entrailles de la terre.

Les aventuriers avaient presque finis un tour complet du gouffre. Ils étaient descendus dans les profondeurs de plus de quinze mètres. Peut-être vingt. Sylas et Carmina observaient leur progression des toutes premières marches. Voyant Jean réapparaitre au détour d’un escarpement rocheux, ils s’agitèrent : « Il y a quelque chose là, à votre gauche ! » s’écrièrent-ils.
Devant Jean s’étendait un pont en pierre, dont les rebords, en pierre, étaient effondrés par endroit. Le tablier du pont semblait par contre avoir résisté aux ravages du temps.

Le gouffre

Jean avança prudemment en éclairant la zone gauche avec sa torche tout en se protégeant de son bouclier.


Au moindre danger, il se tenait prêt à traverser rapidement le pont pour se réfugier en face.

Le pont était solide, et ne poserait pas de problème à le passer. Au milieu du pont, Jean observa la nuée de chauve-souris cachée dans l’anfractuosité sur la gauche. La nervosité de celles-ci semblait amplifiée par la lumière. Heureusement, Jean retira rapidement sa torche, la protégea de son corps pour minimiser la quantité de lumière projetée sur les chauves-souris, et put enjamber le pont sans risque. Il indiqua à voix basse la présence des chauves-souris à ses compagnons, qui ne firent aucun écart de conduite. La descente dans le gouffre pouvait être continuée.

Quarante mètres plus bas, à force de tourner contre ces parois verticales, ils touchèrent enfin le sol.
Un ruisseau coulait sur le bord Sud du gouffre. Il provenait d’un trou dans la roche, à l’Est, et tombait en cascade légère dans un bassin sculpté en ruine. Les motifs s’y trouvant, résolument étrangers, rappelaient des poissons. Une statue sur le bord du bassin devait représenter une ancienne déesse oubliée.

Surtout, le sol de la grotte ressemblait à un champ de bataille.
Partout, des dizaines de chauve-souris jonchaient les dalles ou la terre, certaines tranchées par des coups de lames acérées, d’autres grillées par les sortilèges puissants de leurs prédécesseurs.
Au Nord, quatre corps de forme humaine, trois hommes et une femme, adossés par leurs compagnons au mur, regardaient les aventuriers de leurs yeux morts, semblant comme un avertissement aux dangers qu’ils devaient encore affronter. Deux d’entre eux avaient leur crâne défoncé, alors que les deux autres présentaient des membres dans des positions normalement interdites, rendant la scène plus morbide.
Ils reconnurent le cadavre d’Eitach, écrasé par sa chute, lacéré par les griffes de ses adversaires, gisant dans une mare de sang.

Le ruisseau s’écoulait du bassin vers l’Ouest, suivant d'abord le mur Sud du gouffre puis entrant dans une grotte de taille monumentale. Il semblait canalisé dans une conduite d'un mètre de large sur autant de profondeur, mais cette dernière avait subi l'érosion de l'eau et ne remplissait plus vraiment sa fonction.
Le plafond de la grotte s’élevait sur six mètres, alors que sa largeur avoisinait les huit mètres. Un sol dallé par une civilisation ancienne partait de la dernière marche des escaliers et prenait la direction de la grotte. La partie dallée était assez large pour autoriser le croisement de deux chariots tirés par deux chevaux. Avec les lumières dont ils disposaient, les compagnons ne pouvaient en voir le fond.
Une brise tiède descendait dans le gouffre pour ensuite suivre ce conduit et le ruisseau, réchauffant un peu l'atmosphère sinon lourde et fraiche des lieux.

Un frisson traversa l'échine de la servante de Tyr. Seule son arme à la main, la lame piquant les ténèbres, pouvait la rassurer. Elle se figea sur la dépouille d'Eitach et fit une prière pour que les dieux lui donne justice dans l'au-delà.

« Nous y sommes presque. Les sacrifices de doivent pas être vains. »

Eryn observa le chemin qu'elle allait emprunter.

La statue de l'ancienne déesse semblait bien inoffensive mais jean prit quand même le temps d'en faire une rapide inspection.

Répondant à la chevalière, il dit d'un ton qui se voulait résolu en prenant la tête du groupe :

« Voyons où mène ce tunnel. »

Clostriana fixa sans son dos son bâton avant de sortir sa baguette noire et de suivre Jean et les autres dans le tunnel. Elle espérait juste qu'ils arriveraient à temps pour empêcher le rituel. C'était la seule chose à laquelle elle s'efforçait de penser, préférant éviter de réfléchir au fait qu'elle laissait l'homme qu'elle aimait seul et aveugle, à la merci du danger, à l'extérieur de la grotte...

Façonnée dans un bloc de pierre unique, patinée par le temps, la statuette n’avait plus d’autre utilité que de témoigner d’un âge où les fidèles, avant ou après avoir bravé les escaliers du gouffre, remerciaient un instant cette déesse avant de profiter de l’eau pure et fraiche de la fontaine, puis continuaient leur route, reconnaissants.

Les aventuriers continuèrent leur quête dans le sombre couloir, uniquement éclairés par les torches. Celui-ci s’enfonçait dans le sol en pente douce mais sensible. Au bout d’une vingtaine de mètres, ils tombèrent sur les ruines d’un ancien poste de garde qui devait interdire l’accès à la suite du couloir à d’éventuels envahisseurs. L’endroit était désormais désert, mais de nombreuses traces récentes de boue montraient que leurs prédécesseurs avaient fouillé les lieux.
Le vent était plus fort ici, comme propulsé à travers ce passage plus étroit.

Trente mètres plus loin, le couloir se séparait en deux. Il y avait des traces de boue au sol dans les deux directions. Une pierre gravée de symboles tels que ceux trouvé au cercle de pierre ou au vieux temple était située à deux mètres de haut, entre les deux couloirs.

Eryn tenta de voir ce qu'il se passait dans les deux couloirs. Elle huma l'air des deux côtés, et voulu voir si elle apercevait une lueur si elle se tenait dos à la lumière...

« Jean, toi qui est doué pour le pistage, tu serais la route à prendre ? »

Runica observait les alentours et gardait une flèche encochée pour faire face à toute éventualité.

La rôdeuse entendit Eryn et instinctivement examina les différents chemins.

Se joignant à sa comparse, Jean essaya de déterminer à qui et à combien de créatures pouvaient appartenir ces traces.
« Alors ma belle qu'en penses tu? »

Les traces partaient en nombre équivalent de chaque côté, et des allers-retours étaient visibles, ce qui ne rendaient pas leur lecture facile. Mais cette étude n’était qu’une formalité pour le meilleur pisteur de la région. Jean pointa le couloir de droite : « Par là ». Runica ne comprenait pas pourquoi, mais pourquoi pas ?

Le groupe s’enfonça encore dans les entrailles de la terre.

Au bout de deux cent mètres supplémentaires, ils arrivèrent sur une plateforme dominant une salle immense dont le plafond avait une forme vaguement sphérique. Le sol était situé en contrebas, à vingt mètres sous leurs pieds. Le haut de la salle était à cinquante mètres au-dessus d’eux. La salle s’étendait sur au moins un kilomètre et demi dans toutes les directions. Des cristaux accrochés au plafond émettaient une lueur blafarde jaunâtre, qui dévoilait une cité en ruine dominée par un temple en escalier en son centre. A son apogée, cette ville devait abriter plus de mille habitants, soit la taille de Sangris, de Bocsombre ou de Rivourbe.

Et toujours ce vent, poussant les aventuriers à sombrer dans l’abîme devant eux.

Sur la gauche de la plateforme se trouvait un escalier qui, longeant la paroi, permettait de descendre jusqu’à la ville.
Plus haut sur la gauche, les aventuriers pouvaient deviner l’existence d’un chemin creusé dans la roche. Celui-ci dominait la ville. Peut-être pouvait-on accéder à celui-ci par le couloir qu’ils n’avaient pas emprunté plus tôt. Ce chemin redescendait plus loin vers le sol, mais à l’opposé du temple central.

Eryn désigna de la tête le chemin troglodyte.
« La vue semble être dégagée. Il faut faire attention, à leur place j'aurais laissé des guetteurs. Je dirais de descendre, ça me semble plus rapide. »

Jean venait de désigner le couloir de droite. Mais comment il a vu ça ? songea la rôdeuse mi-admirative mi-jalouse.

Runica se replaça à l'arrière quand la compagnie se remit en marche. Elle suivait le mouvement tout en se tenant prête à tirer sur l'imprudent qui s'en prendrait à eux.

Quand le groupe s'arrêta une nouvelle fois elle s'impatienta légèrement. « Ne traînons pas en tout cas. En restant immobiles nous sommes des proies faciles. »

Poussés par l'urgence et le risque de rester immobile, le groupe descendit par les marches taillées dans la roche.
Les aventuriers dans leur ensemble ne faisaient aucun cas de la discrétion, préférant accélérer le pas pour prendre de vitesse les démons. Ceux-ci étaient de toute façon avertis de leur arrivée imminente par Winsilbur. Il suffisait de leur côté d’un bon guetteur pour confirmer cela. L’ennemi avait dû préparer une embuscade à l’endroit le plus logique et favorable pour lui.
Ce n’était certainement pas à la sortie du conduit, ni même sur cet escalier descendant à la cité : En effet, l’ennemi aurait dû rester à découvert, car la ville ne commençait que quelques dizaines de mètres plus loin que l’escalier.
Une fois descendus, devant les aventuriers s’étalait une avenue conduisant droit jusqu’au temple central. Mélange de cailloux, de basalte et de terre battue, le sol de la cité avait été aplani par l’usage. De part et d’autres de l’avenue se dressaient des maisons en plus ou moins bon état. Certaines avaient des murs encore entiers, voire même un étage, alors que d’autres avaient sombrées en un tas de pierre émoussées et de bois pourri.

Jean exprima tout haut le sentiment général : « Le terrain est propice aux embuscades ».
Il faut pourtant avancer.
« Est ce que l'on prends le temps de faire un détour ou est ce que l'on fonce? »

Eryn fixa le sommet de la pyramide.
« Il faut être pragmatique... le temps presse, mais il vaut mieux gaspiller quelques instants en contournant les zones dangeureuses plutôt que de perdre du temps dans un combat qui pourrait nous couter la vie ! »