Vitam préféra ne pas répondre à la dernière remarque d'Ujio.

Car si effectivement la journée était pourrie, elle souhaitait garder la face devant son protégé afin d'éviter de l'enfoncer davantage moralement parlant alors que d'un autre côté, la revenante avait suffisamment côtoyé de mortels pour savoir que de faire preuve d'un optimisme forcé dans la situation actuelle serait du plus mauvais goût.
Alors que faire lorsque les morts pleuvaient autour de soi et que tout le monde spirituel semblait lui en vouloir pour des raisons plus ou moins connues ? Malgré son âge supposément avancé, la fantôme n'en avait juste aucune idée. Selon Kaido, il parait que c'est dans ces moments d'égarements que la méditation -dont il était friand- prenait tout son sens, et selon Vitam, il s'agissait juste d'un passe-temps comme un autre -et trop ennuyant à son goût- lorsqu'il n'y avait rien à la TV. Quelque soit la vérité, il était néanmoins certain que le duo lié avait besoin de repos, physique comme mental. Alors l'être diaphane ferma les yeux, se concentrant sur les morbides événements passés dans l'optique de mieux les affronter ensuite... Se recentrer, en somme.

« Il faut se reposer, t'en as besoin. On en a besoin, physiquement comme mentalement. »
Puis étant donné que Ujio risquerait bien sur d'avoir du mal à fermer l’œil de la nuit après avoir vu son beau-père possédé réduire sa mère à l'état de marionnette ensanglantée, elle n'hésita pas à ajouter :
« Et dans le cas très probable où le sommeil ne te viendrait pas, on peut toujours causer. Enfin... si tu le veux bien... »

Ce qui n'était pas chose certaine étant donné que pour le jeune homme, Vitam devait davantage représenter un aimant à macchabées sous forme ectoplasmique qu'une gardienne spirituelle bi-classée confidente.

« Désolé, je ne suis pas d'humeur pour la causette. Je veux juste dormir et me réveiller demain pour me rendre compte que tout ça n'est qu'un cauchemar... »

Le jeune homme n'attendit pas et alla s'allonger. Sa tristesse était perceptible, même sans capacité méta-humaine...

« Je comprends. Alors je te laisse dormir, à demain. »

Vitam sortit alors de la chambre pour aller se réfugier quelque part entre la pièce d'à côté et dehors. Bref, n'importe où pourvu qu'on la laisse tranquille et que Ujio ne la voie plus avant qu'il ne se mette à la détester davantage.

Finalement, "Ils" avaient peut-être raison sur le fait que les morts et les vivants ne peuvent vivre ensemble...

Attristée de ce constat, possiblement réalisé à cause de la tristesse ambiante, la fantôme se forgea une carapace pour ne pas finir complètement démoralisée.

Comment ? En fermant les yeux, en pensant à des souvenirs agréables, à ceux qui se battaient encore à ses côtés, cherchant peut-être une réponse qui apparaîtrait comme par magie dans ses pensées...

En méditant, en somme.

Vitam finit par s'endormir, chose étrange pour elle. Encore plus étrange fut le rêve qu'elle fit.

« Vous... Vous pensez que c'est une bonne idée? »

« On fait pour le mieux... Si elle meurt définitivement, nous sommes tous condamnés... »

« Oh, allez, vous en êtes même pas surs! Moi, je dis, ça se tente! Et puis, comme ça, on pourrait partir dans un grand baroud d'honneur! »

« Assez, Ludost! Même si cette décision me pèse moins qu'à certains, je ne peux accepter de la voir mourir sans rien faire... »

« Rabat-joie! Va mourir. Ah non, déjà fait. Autant pour moi. »

« L'anneau est-il prêt, Breva? »

« Gulp. Oui, monsieur... »

« Vous connaissez les paroles. Commençons l'incantation »

« Par cet anneau qui a été forgé,
nous te condamnons à l'éternité.
De la vie, tu passes à trépas,
Car nous n'avons pas d'autre choix.
Désormais tu ne seras plus qu'une âme
Ad Vitam Eternam! »
« Par cet anneau qui a été forgé,
nous te condamnons à l'éternité.
De la vie, tu passes à trépas,
Car nous n'avons pas d'autre choix.
Désormais tu ne seras plus qu'une âme
Ad Vitam Eternam! »
« Par cet anneau qui a été forgé,
nous te condamnons à l'éternité.
De la vie, tu passes à trépas,
Car nous n'avons pas d'autre choix.
Désormais tu ne seras plus qu'une âme
Ad Vitam Eternam! »
« Par cet anneau qui a été forgé,
nous te condamnons à l'éternité.
De la vie, tu passes à trépas,
Car nous n'avons pas d'autre choix.
Désormais tu ne seras plus qu'une âme
Ad Vitam Eternam! »
« Par cet anneau qui a été forgé,
nous te condamnons à l'éternité.
De la vie, tu passes à trépas,
Car nous n'avons pas d'autre choix.
Désormais tu ne seras plus qu'une âme
Ad Vitam Eternam! »

Elle fut tirée de sa torpeur soudainement en hurlant... Mais pourquoi hurlait-elle? C'était dur à dire, elle ne se rappelait de rien, pas même de son rêve. Et elle fut surprise de voir Ujio sortir de sa chambre en courant, la cherchant du regard et chuchotant:

« Vitam, ça va? Je t'ai entendu crier... »

Ladite Vitam était recroquevillée sur soi-même, et le pire c'était qu'elle ne pouvait même pas dire pourquoi !

« Non... »

On ne la reprendrait pas de sitôt à réessayer la "méditation" , qui n'avait apparemment eu que comme unique résultat de la surcharger d'émotions négatives comme en attestait "l'air" de la pièce ou bien son état actuel proche de celui d'un enfant en train de pleurer. Par ailleurs, la spectre à l'âge supposemment sage releva la tête et dévoila à Ujio un masque de tristesse aussi touchant que pathétique.

« Je peux rester avec toi pour cette nuit ? Je ne veux pas rester seule, j'ai... J'ai peur. »

Peur. Le mot était dit. Alors que la revenante n'avait jamais craint rien ni personne depuis le début de son après-vie, voilà que ce "mot" décrivait le mieux sa fébrilité du moment semblant venir de partout et nulle part à la fois.

« Tu... Euh... Ok. Mais n'en profites pas, d'accord? »

Ujio souriait faiblement dans la pénombre devant sa vaine tentative d'humour puis retourna vers la chambre pour s'y allonger. Il demanda alors:

« Tu as déjà goûté des mochis? »

Rien que le fait de ne plus être seule faisait que Vitam commençait à sécher ses larmes métaphoriques, alors lorsque Ujio mentionna les mochis, la revenante sauta sur l'occasion d'oublier sa peine dans la nourriture, le plus célèbre des remèdes contre la tristesse pour les vivants comme pour les morts... bons vivants !

« Oui ! » répondit-elle avec un enthousiasme non feint. « J'en mangeais souvent avec Kaido. Parfois il en faisait lui-même, il se débrouillait plutôt bien en cuisine, tu sais ?
...
Pardon, je viens de réaliser qu'une fois de plus je parle avant de réfléchir... » fit la fantôme en réalisant qu'elle venait de mentionner le père biologique de son protégé et que l'instant était très mal choisi pour ça.

« Je veux bien en goûter d'ici, mais pour ça je dois en "profiter". En tout bien tout honneur. »

Elle ajouta un clin d'œil complice à sa surenchère de vaine tentative d'humour.

« J'aime bien ça aussi, même si il faut faire attention en les mangeant...

Il faudra que je te montre un petit restaurant où ils en préparent. Ils font aussi des unagis du tonnerre.

Sans compter que c'est pas tres cher... »

Parler de tout et de rien semblait un moyen efficace pour detourner l'attention de Ujio de sa situation. Il n'avait pas relevé la mention de Kaïdo mais sans doute était-ce normal. Après tout, il ne l'avait pas connu.

« J'aime bien les mochis glacés aussi, ce doit être mes préférés. Par contre, je ne saurais pas te dire si c'est typiquement japonais...
Tiens d'ailleurs, à propos de glacé, tu savais que les fantômes ressentent le froid comme s'il était chaud ? »

Ce qui était également le cas des vivants sauf que Vitam ne l'était plus depuis tellement longtemps qu'elle avait oublié cela.

« Et histoire de faire une transition subtile sur les sensations, comment t'as fait pour m'entendre crier sans que tes grands-parents, eux, ne m'entendent ? »

« Alors le lien fonctionnerait dans les deux sens ? Intéressant... dommage que c'était pour partager un cauchemar.
Wait wait wait... »

Et tandis que Vitam riait à la remarque d'Ujio à propos de la pâte de haricots, quelque chose la choqua.

« Pour les délires ça se discute, mais je peux t'affirmer que les fantômes ne suent pas. Et rêvent encore moins, surtout une fois "réveillés" !
Peut-être n'était-ce pas qu'un simple... tu te souviens d'autres choses ? De la tête que ces gens avaient ? De celle que "moi" j'avais ? »

« Euh... Ouais. »

Et il se mit à décrire, de façon décousue, ce qu'il avait vu. Il revenait souvent sur la description d'un des sujets précédents voir deux sujets précédents mais Vitam parvint à dresser à peu près un portrait mental de chacun. Et l'un d'entre eux lui disait quelque chose. Ou plutôt l'une... Elle l'avait croisé quelques heures auparavant.

La suite de la description d'Ujio, aussi confuse soit-elle, confirmait néanmoins le fait que tout ceci tenait du souvenir et non d'un simple cauchemar. A moins que le lien pouvait faire de sorte à ce qu'un humain puisse rêver d'une personne que seule Vitam avait vue, mais cela restait très peu probable tant cette théorie était tordue, y compris dans un monde où les fantômes existaient.
Cependant elle n'en dit rien, son intuition étant bien trop trompeuse ces derniers temps, préférant éluder le sujet à discuter de tout et de rien jusqu'à ce que Ujio ne s'endorme enfin, pour finalement s'envoler vers cette Breva. Et pour peu que cette dernière soit encore là à la surveiller, ce qui était chose quasi-certaine, c'est avec une question vague que la revenante verte aborda la blonde.

« Pardonnez-moi de vous déranger en plein travail mais... vous vous y connaissez bien en latin ? »

Pour démontrer que Vitam en perdait le sien -de latin- , celle-ci entreprit de retirer sa bague. Chose qu'elle n'avait jamais essayé jusqu'à présent pour l'unique et bonne raison que la fantôme n'en voyait pas l'utilité.

De Breva, Vitam ne trouva aucune trace. Enfin, jusqu'à ce qu'elle n'essaye de retirer sa bague, ce qui fit réapparaître manu militari la blonde:

« Euh, nonononononoononon, je serais vous, je ferais pas ça. Non, vraiment. »

La fantôme pouvait sentir qu'une force s'opposait à la sienne, pour l'empêcher de retirer la bague. Rien de méchant mais visiblement, elle ne voulait vraiment pas qu'on la retire...

Rien que l'inquiétude de Breva prouvait que le "rêve" que Vitam avait partagé avec Ujio n'en était pas un et que son précédent intérêt pour sa bague n'était pas anodin. Ayant maintenant un moyen tout trouvé de lui faire cracher le morceau, la verte revenante exerça une pression ascendante sur l'anneau afin de le faire glisser jusqu'à sa phalange du bas.

« Et pourquoi pas ?
C'est qu'avec l'âge, je ne vois plus très bien et j'ai maintenant du mal à admirer mes bijoux. Que c'est horrible de vieillir... »

Cessant finalement toute force opposée, Vitam approcha sa main afin d'observer la bague de plus près tout en la faisant tourner sur elle-même, levant de temps et temps la tête pour zieuter la mine de Breva, surement pâle comme un fantôme à l'heure actuelle.

« Ad Vitam Eternam... Ad Vitam Eternam... Ad Vitam Eternam... »

On pensait que les fantômes, désormais privés d'enveloppe physique, ignorait tout des petits tracas et gestes de la vie quotidienne. Comme la respiration ou encore la déglutition. Mais si à cet instant précis, un professionnel de l'étude des fantômes observait Breva, il la verrait déglutir à plusieurs reprises et suer à grosses gouttes. Elle leva faiblement la main et ajouta à voix basse:

« Ne faites surtout pas ça... »

« Et pourquoi pas ? » répéta t-elle à nouveau.

« Vous allez enfin me le dire ou bien je dois passer par la pratique ? »