Ainsi donc les ivrognes avaient choisi l'option gagnante. Surprenant de leurs parts, mais une sage décision. Alora n'aura donc pas à participer à un affrontement ce soir. Du moins pas encore.

Du coin de l'oeil, elle pouvait les voir s'installer sur le comptoir et commençait à profiter de leurs récompenses. À voir quelle sera leur humeur après qu'ils aient vidé leur gobelet. Elle regardait aussi le géant humain qui avait su désamorcer la situation... après avoir provoqué leur capable. Un talent utile sans aucun doute pensa-t-elle rapidement avant de tourner de nouveau son regard sur son échiquier.
Une autre chose avait retenu l'attention de l'halfeline pendant cet incident. Ce que c'était, elle n'en était pas certaine, mais cela l'intriguait grandement. Peut-être seulement le fruit de son imagination. Elle devait s'en assurer en tout cas.

Prenant en main l'un des godets de bière tiède qu'elle avait commandée, l'ensorceleuse commença a doucement incanter un nouveau sort, faisant fi du brouhaha extérieur pour se concentrer seulement sur l'invocation magique.

Un portrait riche, abondant et varié se dessinait sur la scène qui se déroulait ce soir-là, à la Taverne Chandelfe.

Une ensorceleuse jouait aux échecs d'une main et refroidissait sa bière de l'autre avec un doigt magique.

Un feu réconfortant roulait chaleureusement dans l'enceinte du foyer.

Un vagabond essayait de rassurer une serveuse inquiète.
Persuasion Le Borgne: Daevore lance 1d20 et obtient 12 (12)

Une armure magique et une semi-orc montaient fièrement la garde aux extrémités de la pièce.

Un guerrier baraqué discutait bonnement avec le tavernier à propos d'une épée.

La lueur bleue des lanternes projetait une ambiance aux allures magiques, voire même fantomatique.

Trois joyeux lurons au comptoir renversaient leur bière partout en riant et en chantant à propos d'un trésor perdu et retrouvé.

La serveuse présenta le vagabond au tavernier.

Une demi douzaine de clients se battaient en arrière-plan pour quelques pièces d'or.

Puis, enveloppant ce tableau comme un voile spectral, une voix désincarnée et omniprésente s'éleva.

Alora reconnu cette voix. C'était la même que le faible murmure qu'elle entendait précédemment dans son esprit, seulement, cette fois, plus forte et plus distincte.

Tout s'arrêta.

La voix que tous ceux qui se trouvaient dans la taverne pouvaient entendre, récitait une chanson en langage elfique.

Elle provenait de partout et de nulle part à la fois.

Un chant d'une beauté sublime, calme, apaisante, et triste.

Les paroles dans un langage vénérable et poétique, qu'elles soient comprises ou pas par les personnes présentes, n'enleva rien à sa splendeur, au contraire même, ceux qui ne savaient en déchiffrer le sens se trouvaient soudainement portés par son mystère.

Les batailleurs cessèrent de se batailler.

Les buveurs cessèrent de boire.

Les parleurs cessèrent de parler.

Tous pour mieux entendre le chant spectral d'une femme à la voix merveilleuse et envoûtante.

Les mains lâchèrent leurs armes. Ceux qui étaient debout, s'assirent pour mieux écouter.

La Taverne Chandelfe était dans une atmosphère de paix et d'émerveillement, et c'est à ce moment que ceux qui fréquentaient ces lieux pour la première fois comprirent l'origine du nom de ce fameux établissement.

La chanson s'estompa doucement, puis tira à sa fin comme une pluie passagère faisant place à un soleil chaleureux.

À la fin de la représentation, Alan, visiblement ému, s'empressa de verser trois coupes d'un vin spécial qu'il mit sur un plateau. Falten prit le plateau et alla servir les coupes aux trois clients elfes présents dans la salle, eux aussi visiblement émus et versant de chaudes larmes suite aux paroles poignantes de la chanson.

La table renversée fut remise sur pieds. Des poignées de mains et des embrassades furent échangées. On s'entraida pour ramasser les cartes et les débris par terre. Et le murmure des conversations paisibles et civilisées commença graduellement à reprendre dans la salle.

« C'est la première fois que vous l'entendez? » Demanda le tavernier aux clients assis au bar. « On ne se tanne jamais... Ceci dit. Bienvenue à toi monsieur..euh.. quel est votre nom déjà? », continua-t-il en s'adressant au Borgne.

« Alan, où est Yimiur? » s'écria Falten « Je suis débordée! Tout le monde veut à boire après la chanson! »

« C'est vrai, d'habitude elle vient aider à servir les coupes aux elfes, tel il en est coutume depuis toujours... Je vais demander à Azar. Excusez-moi un instant » dit-il poliment à ses clients du bar avant de s'enfoncer la tête dans la porte de la cuisine. « Azar! AZAR! As-tu vu Yimiur? Non? Trouves-là, s'il-te-plaît. Falten est toute seule à servir les tables. »

« Waouh! » exhala Falten en déposant un cabaret rempli de chopes vides sur le comptoir. « Trois rousses de Baldur, un vindefeu, deux ambrées sembiennes et un choix d'Elminster, » commanda-t-elle au tavernier avant de repartir à la charge.

« Tout de suite, madame! » répondit le propriétaire en revenant derrière son bar, la mine toujours de bonne humeur.

Déjà assailli par les souvenirs douloureux d'un passé qu'il préférerait oublier, Le Borgne entendit soudain un chant qui lui était familier. Les paroles n'étaient pas les mêmes apparemment, mais les sonorités quasi identiques. Sa mère chantait comme cela, elle s'en servait uniquement pour attirer les hommes dans son antre, et parfois même pour le calmer lui quand il était trop agité. En cela le chant était différent. Ici cela calma les gens, le chant de sa mère était plus hypnotique, enivrant, il était impossible d'y résister et tous ceux qui l'entendaient étaient sans défenses, à la merci des horreurs que ma mère allait leur faire subir.

Le Borgne secoua la tête pour chasser ses sombres souvenirs et lorsque le chant cessa et qu' Alan le questionna il ne put s'empêcher de bafouiller

« Heu ? Moi ? oui...euh.....tout le monde m'appelle Le Borgne.
Je cherche du travail et ta serveuse Dame Falten m'a dit de m'adresser à toi.
Mais d'où venait ce chant ? » finit-il par dire un brin perdu, peu sûr de lui, regardant tout autour de lui pour chercher celui ou celle qui avait pu chanter ainsi.

Comme tout le monde dans la taverne, Alora arrêta toutes ses activités pour écouter la mélodie qui imprégnait l'ensemble du bâtiment. La chanson était magnifique. Que dire d'autre? Sublime aussi, peut-être. À un point tel que la ténébreuse halfeline ne put s'empêcher de sourire devant une telle représentation de beauté.

Elle ne comprenait pas les paroles, mais elle n'avait pas besoin de les savoir pour que le chant évoque en elle des souvenirs. Les rares Réminiscences des jours heureux qu'elle avait pu vivre. C'était agréable. Très agréable comme un bain chaud après une journée pluvieuse ou un feu de cheminée une nuit d'hiver. La berceuse avait le même effet vivifiant. Réchauffant les corps comme les esprits.
Du moins, c'était ainsi que l'ensorceleuse le ressentit. S'il y avait un seul reproche qu'elle pouvait faire, c'est que la chanson fut bien trop brève à son goût. La triste réalité reprenant progressivement le dessus. Laissant un vide béant là ou pendant un court instant, il y avait eu un feu brulant.

« - C'était beau. » Appuya-t-elle à la suite du Borgne. « Vous savez quelle sorte de spectre est responsable d'une telle mélodie? Et pourquoi elle se met à chanter? Je crois l'avoir entendu murmurer avant qu'elle ne se mette à chanter. »

L'ensorceleuse avait d'abord pensé qu'elle avait entendu l'esprit -La Dame- comme l'avait appelée le vagabond parce qu'elle avait puisé dans la toile. Mais après l'avoir entendu bercer l'intégralité des personnes présentes, elle n'en était plus aussi certaine. Une chose était sure par contre, l'halfeline désirait entendre de nouveau La Dame chanter. Ne serait-ce que pour oublier, même si seulement pour quelques secondes de plus, ses misères.

« Je suppose qu'on finit par s'y habituer. » On pouvait sentir une touche d'inconfort dans le ton de Biliber. Les harmonies elfiques avaient effectivement amené une accalmie sur son âme tumultueuse. Le court moment d'élation se dissipa aussi vite qu'il était venu. Puis vint le ressac de la tempête, qui combla le vide avec intensité.

Biliber parut fragile sur ses jambes. Il s'appuya lourdement sur le comptoir pour se soutenir.

« J'ai besoin d'un remontant, Alan. Du tafia, si tu en as. »

L'ambiance de la salle reprenait son ton usuel composé du bourdonnement des conversations, ponctué de rires, d'insultes, de toasts et de jeux d'argent. Falten apportait les commandes aux tables. Azar, le cuisinier halfelin dodu, franchit la porte de derrière en y accrochant son tablier, et commença à faire le tour des pièces de la taverne.

Parmi les clients assis aux tables, on pouvait voir des marins crasseux, des gens ordinaires qui jouent aux cartes, un groupe hétérogène de voyageurs en capes et en épées, dont un humain habillé de cuir, une femme elfe tenant un bâton ornementé, un nain avec un casque de fer, et un halfelin avec une peau de loup sur la tête. Sur les autres tables, un groupe d'elfes tout aussi bien équipés pour voyager appréciaient des coupes d'un vin qui semblait délicieux, des hommes en tuniques sales qui jouaient au bras de fer, et une silhouette cloîtrée s'était installée seule sur une table avec un bâton d'encens et un jeu de cartes très particulier devant lui, visiblement en attente que quelqu'un vienne le rejoindre.

Le bâton d'encens émettait des fragrances de Myrrhe qu'Alora reconnaissait bien, un parfum populaire parmi les calishites qu'elle a pu apprécier d'innombrables fois chez Kazil et à la Lampe Magique.

On pouvait voir aussi que toutes les alcoves privées de la pièce étaient occupées de mangeurs, de buveurs et de racontars, avec les rideaux tirés pour donner un effet d'intimité.

« Vous cherchez du travail, maître Borgne? » répondit le tavernier en versant un verre d'un liquide rouge vif à Biliber. « Eh bien, sachez qu'à Baldur, il y a une quantité infinie de travail pour ceux qui ont des compétences à offrir. C'est une ville riche d'opportunités, d'intrigues et, je ne vous le cacherai pas, de conflits. Quatre cuivres, s'il-te-plaît, » dit-il à l'adresse du barbu. « Beaucoup d'or passe par cette ville, et beaucoup de rumeurs passent par cette taverne. J'ose croire que vous êtes au bon endroit. L'ouvrier, l'artisan, le mercenaire et bien d'autres métiers peuvent y trouver leur compte en ces murs, » termina-t-il en faisant référence aux grands murs d'enceinte entourant la basse-ville et la haute-ville. Il se versa lui-même une coupe de vin pour finir la bouteille qu'il avait entamé à la fin de la chanson.

« Aaah, c'était beau, n'est-ce pas? » dit-il à l'endroit d'Alora, qui avait démontré son appréciation pour la ballade.

Les trois saoulons au comptoir acquiescèrent et levèrent leur verre à cette affirmation. Celui avec un chapeau de paille s'empressa d'ajouter avec enthousiasme que « La Dame... hic... hante chette taverne depuis touchours. Nul ne shait d'où elle...hic... vient. »

« Mais ce qu'on shait, » ajouta l'autre sans chemise, « sh'est qu'elle chante pour un amour perdu.... hic... en mer. Et de son eshpoir de le retrouv-heeeeerrrrrrrrrp. »

Ce dernier termina sa phrase avec un rot sonore suivi de l'approbation et de tapes dans le dos de ses comparses.

« C'est à peu près ça, » confirma Alan en riant à son tour. « Même ma mère, qui a tenu cette taverne pendant de longues années, n'a jamais pu déchiffrer cette énigme. On a essayé plusieurs fois de lui demander mais elle ne semble s'exprimer qu'avec cette chanson et rien d'autre. Alors on en a convenu que comme elle attire beaucoup de clients, on l'accepte comme une bénédiction et puis voilà. Elle fait partie de la famille, en quelque sorte, » dit-il en envoyant un clin d'oeil bienveillant à Falten qui venait déposer d'autres verres vides au comptoir, l'air complètement dépassée par le boulot.

Alora leva les sourcils perplexes. Les informations qu'ils avaient sur le fantôme étaient incroyablement maigres lorsqu'on considérait depuis combien de temps La Dame hante le chandelfe. Mmh, d'ailleurs, maintenant qu'elle y pensait, c'est surement elle l'origine du nom de l'établissement.

« C'est tout? Il doit bien avoir une raison qui la pousse à chanter. Une heure précise ou un déclencheur. Comme la bagarre de tout à l'heure. »

Ce n'est pas parce que les habituées avaient renoncé à en savoir plus qu'il n'existait plus d'indices à découvrir. L'ensorceleuse se promit d'expérimenter une autre fois sa théorie selon laquelle la magie pourrait invoquer l'esprit en peine. Peut-être à un moment où la taverne est moins bondée qu'elle n'est en ce moment. Le calme semble aussi avoir une influence.

En attendant, les yeux de l'halfeline se perdaient de nouveau sur les tables alentour. Une fois encore, elle observait avec attention les jeux alentour et la monnaie qui circulait au fur et à mesure que les parties reprenaient de plus belle. La silhouette cloîtrée en particulier piquait sa curiosité. Bien qu'il ne jouait pas. Pas encore du moins, quelque chose dans l'allure de cet individu intriguait la jeune femme. Surement l'odeur d'encens qui induisait un sentiment de familiarité peut-être trompeur. En tout cas, elle tentait d'obtenir du regard plus de données sur cette personne. Au moins, une vague idée de sa race et de son sexe. Et tout ce qu'elle pouvait glaner de plus. Le jeu qu'il avait devant lui aussi faisait partie de son minutieux examen. Même si elle n'était pas certaine de connaitre ledit jeu, il devait surement posséder des points communs avec d'autres jeux de cartes avec lesquelles l'halfeline était plus familière.


Seule l'intervention de celui que se dénommait le Borgne força la magicienne au pouvoir innée à retourner son attention sur le bar et sur les personnes qui s'étaient concentrées autour.

« Tu sais faire quoi, au juste? Et encore plus important tu es prêt-à quoi? C'est bien beau de chercher du travail, mais un potentiel employeur voudra savoir ce que tu apportes avant de te t'employer ou non. C'est ce qu'Alan veut te dire. Tu es un artisan? Un marin? Un guerrier? »

Même si a sa tête, Alora doutait que le Borgne fît vraiment dans le travail honnête. Contrebandier, pirate, ou bandit plutôt, oui.

Le Borgne n'était guère habitué à la civilisation, il s'en était tout juste approché il y a peu et avait fini par atterrir dans cette immense cité portuaire.
Le peu qu'il connaissait des gens était ce qu'avait bien pu lui enseigner sa mère et son garde-manger. Sous l'emprise de ses charmes, ce dernier, composé d'hommes et de femmes variés, lui avait enseigné quelques maigres choses de la vie extérieure avant de leur servir de repas.
Ses connaissances étaient maigres et surtout basé sur la survie.

Regardant autour de lui, il vit tous ces gens disparates. Différents dans leur tenues, dans leur visage, dans leur façon de manger ou de parler, mais cela ne l'intéressait pas plus que la souris qui zigzaguait en ce moment même entre les jambes des soulards tout près de lui, c'était pour lui des choses insignifiantes qui faisaient partie des meubles.
Du moins jusqu'à ce que l'une d'elle lui adresse la parole. Son regard passa alors la masse du géant à la forte pilosité et vint se poser sur une tête féminine plutôt enfantine au tien pâle. Sans réellement savoir de quelle ethnie il s'agissait, Le Borgne se doutait au son de sa voix qu'il avait cependant affaire à une adulte.

« Ce que je sais faire dis-tu ? euh, je n'y ai jamais vraiment réfléchi. »

Son esprit l'envoya immédiatement en arrière, se remémorant son passé pas si lointain. Que sais-je faire ?

« Euh, eh bien, je ne suis pas un marin non, ni un artisan. Euh, que dire, je sais me cacher aux yeux des peaux vertes et j'ai quelques connaissances en anatomie. » dit-il sans plus de fierté que ça réalisant qu'il n'avait pas le profil qu'on attendait dans une cité comme celle-ci apparemment.

« Je crois que je ne sais rien faire du tout en fait » rajouta-t-il penaudement, une main derrière la tête.

Biliber avala le liquide rouge avec un brin d'appréhension. La douce chaleur qui irradia son intérieur chassa le doute. « Hum. Pas mal. Pas mal du tout. »

Le grand homme fit un signe de la main pour inviter le tavernier à remplir son gobelet à nouveau.


En entendant la réponse, Biliber porta son attention sur l'individu qui avait prononcé ces mots. En voyant son allure négligée, le gaillard fronça ses sourcils drus en signe de perplexité.

« Ben, si t'es là pour en parler, tu dois bien te débrouiller pour manger. À te voir l'air, je dirais que tu n'es pas de ceux qui sont assez riche pour ne pas avoir à suer son saoul juste pour se mettre quelque chose sous la dent. Alors, comment t'as fait jusqu'à maintenant ? »

Tu te nourris des restes que l'on donne aux cochons ? Les mots lui montèrent jusqu'aux lèvres, mais il les retint. L'hère était visiblement armé d'outils tranchants qui n'étaient pas des parures, si Biliber y connaissait quoique ce soit en la matière. Il avait causé assez de commotions pour une soirée.

Alors qu'il s'attendait à une réponse de la jeune femme enfant à la peau pâle, ce fut le géant qui lui obstruait la vue qui l'interpella à son tour. Ce ne fut pas pour lui déplaire, lui qui inspirait habituellement insignifiance et dégoût.

Il tourna sa tête vers Biliber, et ce dernier croisa alors son unique oeil vert posé sur lui. Un oeil qui en disait long sur les atrocités qu'il avait pu voir. Biliber n'avait aucun doute: cet homme avait vu les ténèbres et était toujours en vie pour en parler.

« Je me suis....débrouillé »lui répondit-il laconiquement.

Les pensées de Biliber avaient certainement un fond de vérité.

Ne souhaitant pas laissaient ses idées noires l'envahir à nouveau, il essaya immédiatement et peut-être maladroitement de changer de discussion.

« Et tous les deux ? vous êtes ensemble ? »dit-il en montrant du doigt tour à tour Biliber et Alora

« Non. » Répondit laconiquement l'ensorceleuse. Ne voyant pas l'intérêt de s'étendre plus sur la question. La réponse étant suffisamment claire à ses yeux.

« T'as pas l'air malade, et tu n’as pas l'air de mourir de faim non plus. Même si tu sais rien faire, tu trouveras. J'irai voir du côté du port. Ils ont toujours besoin de bras là-bas. »

En temps normal, la ténébreuse halfeline ne se serait guère intéressée à un inconnu comme Le Borgne. Sans le sou, et de son propre aveu, sans talent. Mais il y avait quelque chose dans le regard de l'étranger qui le rendait éminemment sympathique. Et qui poussait Alora à tenter de l'aider. Même si cette aide était limitée pour le moment à simplement prodiguer quelques conseils.

Toujours d'humeur Samaritaine, elle se tourna dos contre le bar indiquant du doigt un coin de la taverne.

« À ta place, je demanderais aux marins assis là-bas. Il y en a plein, donc doit y en avoir qui ont du boulot a proposé. »

Sans le savoir, l'endroit qu'elle avait montré n'était pas loin de la table ou Le Borgne était assis avant que l'entrée fracassante de Biliber ne le pousse à se lever. Mais cela, elle l'ignorait. Tout comme elle l'ignorait qu'il existe jusqu'à très récemment.

Pendant qu'il avalait sa gorgée, la très petite femme tout près de lui répondit par l'évidence. Ne se sentant plus concerné par la conversation, Biliber s'accouda sur le comptoir en faisant face à la salle. Il promenait son regard là où les interactions entre clients lui semblaient le plus intéressantes.

Le Borgne tourna la tête vers l'endroit indiqué par la jeune fille, et vi les marins en train de boire et manger comme si c'était leur dernier repas.

« Humm, je... en fait.... je n'ai jamais vu la mer....pas sûr que ça soit un travail très adapté pour moi....mais je note ce que tu me dis malgré tout, merci.
Mais, et toi ? que fais-tu pour vivre ? »

Il se tourna ensuite à nouveau vers le patron.

« Excuse moi de te poser tant de questions, mais où est ta serveuse ? je ne la vois plus...
et que fait cette personne bizarre là-bas » dit-il en montrant la silhouette dans une des alcôves avec l'encens et les cartes.

Alora haussa légèrement les épaules, rien n'obligeait en effet celui qui se faisait appeler Le Borgne à suivre ses conseils.

« C'est pas parce que tu travailles au port que t'auras à naviguer, la plupart restent à quais. Mais comme tu veux. »

L'ensorceleuse se tut pendant quelques secondes, considérant pensivement la question qui lui avait été posée. Et surtout la réponse appropriée à apporter. Cet homme agissait comme s'il n'y connaissait rien à la vie citadine, ou même a la civilisation tout court. Ce qui pouvait être éreintant. D'un certain point de vue, ce n'était pas si différent de discuter avec un enfant. La naïveté était certainement similaire.

Malgré tout, la jeune femme demeurait toujours de humeur sociable, elle finit donc par répondre:

« Je suis marchande… enfin, il serait plus correct de dire que je suis apprentie. »

L'Halfeline observait maintenant l'humain d'un oeil inquisiteur. Si son instinct avait raison, alors cet homme n'aurait aucune idée de ce qu'un apprentissage de ce type signifiait. Peut-être avait-il déjà rencontré un commerçant dans sa vie, mais c'était sans doute la première fois qu'il était confronté a cette notion: comment au juste devenait-on un marchand? Allait-il oser poser la question?
C'était en tout cas ce à quoi elle s'attendait.

Son regard pétilla d'intérêt lorsque les interrogations du jeune homme se tournèrent vers l'individu qui l'intriguait tant. Alora n'avait pas eu l'audace de demander au tavernier s'il connaissait cette personne, mais Le Borgne n'avait guère hésité. Une fois encore tel un gamin.
Quelle rencontre ironique. Alora ressemblait peut-être à s’y méprendre a une fille humaine, mais cet homme qui n'avait rien d'un mineur en apparence agissait pourtant comme tel.

L'homme marqué de trois cicatrices lui traversant le visage et lui ayant coûté son oeil gauche ne paraissait pas si vieux à y regarder de plus près. Il sentit d'ailleurs l'insistance presque inquisitrice du regard d'Alora sur lui. Cela ne le gêna pas, il avait l'habitude que les gens le regardent ainsi. Ainsi à y regarder plus méticuleusement, Alora s'aperçut donc que c'était plus son visage défiguré et ses accoutrements usés qui le vieillissait. C'était un jeune homme plus qu'un homme au final.

« Je sais ce que c'est qu'un marchand, j'en ai déjà rencontré dans un village pas loin d'ici, ils vendent tout un tas de trucs je sais.
Par contre, je ne sais pas d'où ils les sortent.
Et...euh...apprentie...ça veut dire quoi ?
Et tu vends quoi du coup ? »

En même qu'il parlait à Alora son oeil vert se posa l'étrange petit plateau de bois quadrillé avec de petites figurines sculptées posées dessus.

« Et ça, c'est quoi ? »dit-il en lui montrant du doigt le jeu d'échec.

Comme prévu, le poisson ne put résister à l'appât et mordit à l'hameçon. Ce qui fit pouffer de rire l'halfeline. Elle connaissait beaucoup de vendeurs qui rêveraient d'un client comme Le Borgne... c'était vraiment dommage qu'il soit sans le sou parce qu'ils auraient fait des heureux. Ou alors y en avait-il qui avait déjà eu la chance de marchander avec le jeune homme? Au vu de son manque de méfiance a son égard, et a l'entendre, ça ne semblait pas être le cas. Ou peut-être est-il simplement tombé sur des gens honnêtes? C'était difficile à croire pour une citadine de la Porte.

« - Hmm, allez… laisse le temps à Alan de te répondre. Il pourrait s'offenser d'être ignoré alors que tu viens juste de lui poser une question. »

Alora se remit à jouer seule à son jeu d'échecs. Même si ça l'avait beaucoup amusé que cet étranger réagisse comme elle l'avait prévu, l'ensorceleuse n'était guère pressée de répondre à ces questions. Pas celle-là en tout cas. D'autant plus qu'elle était bien plus intéressée de ce que le tavernier avait à dire que de satisfaire la dévorante curiosité de son interlocuteur.

Alora examina la silhouette cloîtrée installée seule sur un coin de table dans la salle, avec un jeu de cartes prêt à être utilisé, et un bâton d'encens brûlant ses arômes envoûtantes. Elle ne su déceler une quelconque familiarité outre l'odeur de son parfum méridional. Le jeu de cartes lui est, pour l'instant, inconnu sans en voir la disposition et la nature des cartes en cours de jeu.


Tous ceux à portée d'oreille de cette phrase prononcée par Le Borgne savaient pertinemment qu'à la Porte de Baldur, le sort qui attendait une personne ne savant rien faire d'utile ressemblait à: la rue, la pauvreté, la misère, la mort et les taxes. Soit en ordre séquentiel ou en simultané. C'était une ville extrêmement inhospitalière pour ceux qui ne savaient pas tirer leur épingle du jeu de la civilisation urbaine, d'une quelconque façon.

Quoi qu'il en soit, Biliber et Alora on tous les deux remarqués que Le Borgne ne semblait pas appartenir à la catégorie de personnes victimes des injustices de la cité. Ou du moins, pas encore.

Biliber s'accouda contre le bar et observa la salle.

Les jeux de dés, les bras de fer, les histoires farfelues, les rires mesquins, les râleries contre les patriars s'entremêlaient dans la salle entre les tables allumées de bougies oranges et de lanternes bleues. Azar, le halfelin cuisinier faisait le tour de chaque pièce du rez-de-chaussée pour trouver Yimiur, la serveuse manquante, selon les directives du propriétaire. Depuis le début de la conversation entre les gences assises au bar, il se promenait d'alcove en alcove pour cogner sur le câdre de porte et demander si tout allait bien, s'ils avaient besoin d'un breuvage ou quoi que ce soit.

Azar Perception: Daevore lance 1d20 et obtient 17 (17)

Il s'arrêta plus longuement dans une alcove particulière, dans laquelle les clients tenaient leur rideau tiré. D'abord il cogna, puis posa sa question routinière, qui demeura sans réponse. Ensuite, il ouvrit le rideau pour répéter sa question. Les clients ignorèrent complètement Azar, lequel s'offusqua face à une telle ingratitude de l'hospitalité légendaire des halfelins.

« EH BIEN SI C'EST COMME ÇA, PASSEZ-VOUS DE SERVICE!! », s'exclama-t-il en donnant un coup de pied sur une chaise vide dans la petite pièce.

Biliber Perception: Daevore lance 1d20+2 et obtient 20 (18)
Alora Perception: Daevore lance 1d20+2 et obtient 20 (18)

Alors que Le Borge avait le dos tourné pour parler aux deux autres, ces derniers avaient une vue directe sur la scène qui venait de se dérouler devant eux. Le halfelin avait tenté de donner un coup de pied sur une des chaises de l'alcove, et ce dernier manqua de très près de tomber par terre parce que son coup de pied passa clairement au travers de la chaise comme si cette dernière n'existait pas. Un étrange phénomène visuel momentané venait de perturber la scène de l'alcove, pour laquelle Alora et Biliber n'avaient pas un bon angle de vue de toute façon. C'était comme si l'image des clients à l'intérieur de l'alcove ondulait telle la surface d'un liquide vertical qui venait d'être perturbée.

Alora Arcane: Daevore lance 1d20 et obtient 19 (19)

Alora reconnut immédiatement l'effet d'un sortilège d'illusion qui venait d'être perturbé. L'alcove était non seulement voilée d'un rideau physique, mais aussi d'un rideau magique.

Azar recula de quelques pas, ébahi de ce qu'il venait de voir, puis se dirigea directement vers le bar pour avertir son patron.

« Jolie illusion! » Fit remarquer l'halfeline en indiquant de la tête l'alcôve ou son malheureux congénère cuisinier faillit se renverser par terre. Étant elle-même friande de cette école de magie si particulière, elle savait savourer à sa juste valeur le talent du magicien qui avait lancé ce sort.

« Je me demande où ils sont passés… » S'ils étaient bien plusieurs avant que le sort prenne forme. Ce genre de phantasme durait rarement longtemps, sauf si nous avions affaire à un mage puissant, mais dans ce cas, l'illusion n'aurait pas été ébranlée aussi facilement. Le lanceur ne devait donc pas être bien loin.
D'instinct, le regard de l'ensorceleuse se tourna vers la grande salle à la recherche de l'individu. Ou du moins, de quelqu'un qui semblait porter une attention importante au lieu de l'incident. C'était le genre de manie qui trahissait souvent les illusionnistes trop nerveux. En particulier lorsque ce n'était pas vraiment leur domaine de prédilection.
Tout en faisant cela, elle gardait toujours un oeil sur l'alcôve. Car il était très possible que le, ou les coupables soient toujours à l'intérieur du mirage. Leurs gestes masqués par cette dernière. Du moins, pour le moment.

Quelle taverne passionnante! Ils ne semblaient pas se passer une minute sans qu'une chose intéressante se passe. C'était tellement croustillant qu'un petit rictus s'afficha même sur la mine morose d'Alora.

Décontenancé par ce qu'il venait d'expérimenter, Azar retourna auprès du tenancier pour lui faire part de ses trouvailles:

« Mon-mon-sieur Alyth... », bégaya le semi-homme dodu, « Il y a quelque chose de b-b-bizarre dans cette pièce-là », continua-t-il en pointant l'entrée de l'alcôve cachée par un rideau fermé.

« Qu'est-ce que tu veux dire par là, Azar? » demanda le patron.

« Je sais pas...il y a une sorte de so-so-sorcellerie là-dedans. J'ose pas y aller, m'sieur, » chigna-t-il d'un air inquiet.

Alan fronça les sourcils.

« Skoona! » interpela-t-il envers la semi-orc qui gardait la porte d'entrée. Le regard de cette dernière alla rejoindre celui du semi-elfe derrière le comptoir. Un bref signe de tête de la part d'Alan indiqua à la semi-orc d'aller investiguer le rideau fermé. Sa vaste silhouette se dirigea vers l'endroit.

Investigation Skoona: Daevore lance 1d20+1 et obtient 18 (17)

Elle ouvrit un premier rideau, puis, surprise, fit un pas vers l'arrière en se grattant la tête d'un air perplexe et étonnée. Elle retenta le coup mais cette fois en ouvrant un second rideau derrière le premier, lequel était comme une image parfaite de la pièce derrière, comme une peinture suspendue au plafond, mais démontrant une scène toute autre que celle qui se cachait réellement derrière. Comme un mirage qu'on pouvait tasser comme un voile.

Les personnes assises au bar n'étaient pas dans une bonne position pour observer l'intérieur de la pièce, mais le regard de Skoona laissait deviner que quelque chose de troublant s'y trouvait. La figure cloîtrée à l'autre bout de la pièce brassa son jeu de carte, puis déposa une carte, face cachée, sur la table en face de lui.

« Alan, » dit Skoona d'une voix troublée sans détourner ses yeux de la petite pièce, « je crois que tu devrais venir voir ça. »

Un puissant coup de tonnerre retentit dehors et fit sursauter presque tout le monde dans la salle. Falden émit un petit cri aigu, étouffé par ses mains. Des rats coururent pour aller se réfugier dans les coins sombres. Depuis l'intérieur de la taverne, on pouvait entendre une forte pluie qui commençait à tomber drue sur les toits et les pavés de la ville.

Aussi loin que sa mémoire lui permettait de remonter dans le temps, Le Borgne avait toujours connu la peur. La peur du noir, la peur de ne pas manger à sa faim, la peur de l'orage qui faisait ruisseler l'eau sur les murs de la vielle tour en ruine et transformait le sol en boue, là où il dormait souvent en boulle recroquevillé sur lui-même..... la peur de sa mère bien sûr.
Mais au fil des années, il avait appris à la dompter, et même s'il avait toujours peur, ça n'était plus un obstacle pour lui. Pas comme ce pauvre Azar par contre. Sa peur le dominait maintenant et il était incapable d'agir.

Le Borgne ne sut pas trop pourquoi ce sentiment naquit en lui mais il avait envie d'aider. Il poussa rapidement son sac du pied derrière le comptoir d' Alan, et le suivit lorsque Skaana l'invectiva de venir voir ce qu'il se passait dans l'alcôve.