Auguste avait vu juste : Les bandits étaient entrés par cette chambre, en cassant tout bonnement un carreau de la fenêtre quand tout le monde était en bas.
Certainement avaient-ils attendus que Sabine soit seule, et que les domestiques et les invités soient rassemblés dans la cuisine, pour intervenir. L’un d’entre eux n’avait pas survécu à sa cupidité, et avait dû s’enfuir par le jardin… Dans la roseraie, il avait été englouti.

Le Comte exprima son désarroi.
« Il semble que je sois l’objet d’une machination », confia-t’il à ses amis. « J’ai appris ce soir que je serai l’objet de diffamation concernant un scandale dans les colonies… juste avant l’incendie du Palais National. »
Il resta pensif un moment, avant de compléter : « Une … apparition... » <il semblait chercher ses mots, et c'était visiblement le seul qui lui soit venu à l'esprit> « ... m’y a aidé, pour sauver un enfant des flammes… »

Bon... de ce côté, c'était élucidé... de vulgaires monte-en-l'air -bien organisés- qui avaient visé une chambre donnant sur la rue, afin de pouvoir grimper sur le toit de leur automobile pour leur en simplifier l'accès.
Mais quelque chose restait étrange : ils étaient venus pour enlever Sabine et avaient carrément délaissé les bijoux qu'ils n'avaient qu'à prendre en poche, comme le fameux Dudule -curieusement disparu-... Cela collait mal avec une bande de cambrioleurs : l'acte était commandité. Par le biais de sa fille, ce qui était donc bien spécifiquement visé, c'était le comte... quoi ? que venait-il de dire ?
Auguste arrêta de triturer sa moustache pour faire signe -peu courtois- à Charlotte de se taire, en levant sa main paume ouverte devant le visage de la demoiselle , tandis qu'il demandait lui-même à St Périer :
« Comment ça ?!? Une apparition ?!... Qu'entendez-vous par "une apparition", mon ami ? et comment vous a-t'elle aidé à sauver un enfant des flammes ?... Racontez-nous tout. »

Interloquée par le geste, Charlotte ouvre de grands yeux et reste coite de saissiement, pour l'instant

« Firmin, nous sommes revenus. »Avait simplement dit William à leur entrée, posant une main compatissante sur l'épaule du Comte dont la mine défaite par tant de fatigue et de douleur aurait pu inspirer Stoker pour une de ses nouvelles.

Tout en rejoignant les autres à l'étage, William ne cessait d'admirer Rochelle; non sa beauté pourtant digne de toutes les louanges - elle avait su en quelques minutes redonner une fraîcheur de rose de Perse à son teint - mais par dessus tout son courage et son énergie après le drame qu'ils venaient de vivre.
Lui même n'avait pas eut le temps de se changer et dégageait quelques relents fuligineux de cendre et de transpiration.

William inspecta rapidement la scène du crime et surtout écouta les protagonistes de cette tragédie qui paraissait sans fin.

Une apparition ?!...
Ils n'avaient pas parler de ce qu'ils avaient vu dans cette salle en feu, mais si le Comte avait bien aperçu la même chose, cela excluait définitivement l'action des gaz.
William était à moitié écossais et bien sûr il croyait aux fantômes et aux fées. Son expérience africaine et les récits des indigènes n'avaient fait que renforcer sa conviction dans ce domaine. Mais jusqu'à présent, ses rencontres avec le surnaturel n'avaient été que littéraire.

Laissant là ses réflexions, William attrapa son vieux "cache poussière" dans la chambre qui lui avait été allouée puis redescendit au rez de chaussée. Le comte saurait aussi bien que lui expliquer ce phénomène. Le reporter sortit dans la rue, jetant un coup d'oeil aux ruelles adjacentes.

Le Comte répondit à Charlotte : « Bien sûr, il ne s’agit que de calomnie, et je démentirai avec la plus grande des vigueurs. Il se peut que tout cela soit d’ailleurs provoqué par les industriels et les militaires même que je souhaitais faire tomber pour des trafics d’esclaves. Une enquête que j’avais confiée à mon bras droit, Lucien Gambier... »
Le Comte eut un regard lourd de sous-entendu envers William. Ce dernier avait sous-entendu plus tôt, pendant le gala, qu’il pouvait être aussi impliqué dans l’affaire…

A la question d’Auguste, il sembla lui-même étonné de ce qu’il avait dit, concernant cette … apparition.
« Enfin… Monsieur Battlestone… vous étiez aussi présent, n’est-ce pas ? Alors que nous étions bloqués dans une salle à l’écart, une… silhouette… féminine... une feme... est apparue… entourée de feu. Elle a… hum… écarté les flammes, ce qui nous a permis d’atteindre la fenêtre… »

Monsieur Battlestone ne prit pas le temps de confirmer leur vision commune, qu'il était déjà sorti dans la rue...

Auguste se remit à triturer pointe de sa moustache avec une certaine énergie. Mazette ! Voilà qui n'était pas banal...
Il eut un regard acéré vers St Périer. Il n'avait aucun doute sur sa sincérité, et même si celui-ci aimait les bonnes choses et les bons alcools, il n'était pas homme à en abuser... surtout à un gala de charité... surtout ce soir... et heum... cette enfant ?
« ... Aheum... et euh... cette femme vous a suivi, ensuite ? Vous parliez d'une enfant sauvée des flammes, elle était avec elle ? »

Louis resta dans son coin et écouta attentivement les paroles du comte.

Et bien visiblement je ne suis pas le seul à avoir vu des choses bizarres ce soir.

Un frisson lui parcourut l'échine quand il repensa aux roses.

Charlotte, toute remuée par ces déclarations surprenantes, se retient de défaillir ....

La demande de précision du médecin était légitime. Aussi le Comte profita de cela pour remettre de l’ordre dans ses idées.
« Le … hum… La décoration du gala tombait en tous sens, et ce gamin s’était retrouvé bloqué sous des planches. Je venais le dégager, pendant que Monsieur Battlestone et Monsieur Legabier allait mettre à l'abri d’autres enfants, apeurés. Mais les flammes nous ont entourés. Heureusement, Monsieur Legabier nous avait aspergés d’eau.
Et c’est là qu’elle est apparue… Une silhouette féminine, cerclée de feu. Elle a dégagé les flammes autour de nous, jusqu’à la fenêtre, qu’elle a ouverte en contrôlant l’appel d’air… »
Il déglutit difficilement.
« Puis… elle est partie… dans les flammes. Nous avons pu descendre sur le gazon du Jardin de Propreté, au cœur du Palais National… »

Le Comte s’assit après ce récit. Il se tint la tête à deux mains, désespéré par l’enlèvement de sa fille.
« Surtout, je veux savoir ce que veulent les ravisseurs avant de prévenir la police… »
Sur ce point, sa décision semblait prise.

« Enfin, racontez-moi comment cela s'est passé... »

« ... Eh bien ... » Charlotte tente de rassembler ses idées
« Nous avons passé une fin de soirée fort littéraire, à lire et déclamer quelques vers ....
Puis Sabine étant fatiguée, elle a voulu se coucher ...
elle mettait un point d'honneur à vouloir monter seule et sans aide ... »
Charlotte accompagne cette dernière remarque d'une petite moue désolée
« Nous avons attendu qu'elle soit parvenue en haut des marches sans encombre et nous nous sommes dirigés vers l'office pour voir avec vos gens ce qu'ils pouvaient nous apprendre comme petits détails dont ils se souviendraient.
Nous étions dans le vestibule quand nous avons entendu Sabine crier, nous sommes accourus ...
Je me suis précipitée vers la chambre de Sabine, mais les malandrins étaient ... plusieurs entre la chambre et le couloir du haut ... » Charlotte secoue la tête en fronçant les sourcils « Je ne me souviens plus très bien, j'ai couru pour secourir Sabine, je ne voulais pas qu'ils lui fassent du mal, ... il y a eu le premier coup de feu, j'ai eu peur pour Sabine, je craignais pour sa vie, j'ai continué à courir, .... je suis arrivée à sa porte, un vilain la descendait par la fenêtre, ... elle ne se débattait pas, je crois qu'elle était inconsciente, ... J'ai hurlé et là le 2e coup de feu m'a couchée à terre ... inconsciente ... quand j'ai repris connaissance... le Docteur m'a faite un pansement de secours, Ensuite, je suis allée me changer [Charlotte rosit], pour que le docteur puisse m'extraire ces deux balles que j'avais reçues ... Il m'a donné un anesthésique très efficace ... Je n'ai pas mal du tout ... »

Quelque chose ne collait pas... St Périer avait d'abord parlé d'une enfant à sauver des flammes... pas d'un gamin... enfin... il serait malséant d'insister. Et dans l'affolement, encore vif en leurs esprits... les uns échappant à un incendie (criminel ?) les autres à une fusillade... ce n'était qu'un détail.
De son côté, et avant qu'on lui réitère la demande, Auguste apporta son maigre témoignage :
« Le malfrat armé avait la moustache fine, une balafre sur la joue droite (très reconnaissable), un marcel rayé collé au corps, un pantalon large de marin, et cette même casquette large. Sabine ne se débattait pas, mais ne portait aucune blessure, elle a probablement été droguée (ou chloroformée à très faible dose, sinon j'aurai reconnu l'odeur...). Le voyou au pistolet a tenté de rameuter un certain Dudule (apparemment celui que vous avez poursuivi, Mr Mûller) à qui nous coupions la retraite prévue... la bande s'est enfuie avec votre fille dans une Delahaye auto-mobile de couleur sombre (le modèle I il me semble) ils étaient au moins quatre : le tireur dut prendre place sur le marchepied.
Ensuite je me suis préoccupé des premiers soins à mademoiselle Touttain, jusqu'à ce que Georges nous rattroupe... »

« Ceux qui attendaient dans la rue portaient ces mêmes casquettes, qui indiqueraient un gang de rue, ainsi que des foulards qui masquaient des faciès apparemment d'une laideur hors norme. L'un d'eux portait une vareuse bleu, militaire. Et ils appelaient leur chef "capitaine". »

William venait d'arriver au moment où Auguste Duchamp terminait une description détaillée des évènements.

« Un rapport de mes mouches, qui malheureusement n'ont pas votre regard infaillible docteur. » Ajouta William. « J'en saurais peut être un peu plus demain, mais j'en doute. Le crime était bien préparé. »

Il approcha de Rochelle et posa délicatement le dos de sa main sur la tempe de la baronne pâle sous le hâle naturel de sa peau.
« My godness, mon cœur vous paraissez épuisée. Et mademoiselle Touttain me semble moins vaillante encore. Je crains que nous ne fassions rien de bon pour ce qui reste de cette nuit. »

William regarda Firmin qui semblait avoir totalement perdu toute contenance, aussi fatigué que désespéré, l'ébranlement nerveux qui l'avait saisi devait envahir son cerveau de myriades de possibilités plus effroyables les unes que les autres.

Mais étant donné l'heure tardive, et le moyen de transport des ravisseurs, ceux ci pouvaient être à présent n'importe où et probablement loin de Paris. En outre, la lumière du jour leur permettrait peut être de découvrir de nouveaux indices dans la chambre, des détails que les ombres de la nuit ne permettent pas de déceler.

Le Comte écouta attentivement les explications de Charlotte et d’Auguste, alors que, l’institutrice, embarrassée, tentait de resserrer avec ce qu’il lui restait de savoir-vivre son châle autour d’elle.
William apporta son lot d’information également, ce qui rendit le Comte encore plus attéré. Il semblait que l’enlèvement ait été patiemment prémédité, par une équipe très bien organisée. Cela ne présageait rien de bon pour sa fille … et pour lui.

Écoutant le conseil du journaliste, il se releva, titubant légèrement : « Messieurs, Mesdemoiselles, je vais me retirer dans mes appartements, si vous n’y voyez pas d’inconvénients. Je … réfléchirai… mieux à tout cela demain matin. » Il semblait évident qu'il aurait du mal à s'endormir...

En partant, il ne sut comment souhaiter une bonne soirée à son entourage.

« Reposez-vous Monsieur le Comte, vous en aurez besoin ... » Charlotte n'ose pas lui souhaiter « Bonne nuit », cette nuit ne saurait être bonne au milieu des préoccupations qui attendent le père angoissé.

Une fois le comte parti Louis se dirigea à son tour vers la chambre qui lui avait été allouée.

Ne sachant que dire il se contenta d'un geste de la main pour saluer les convives encore rassemblés.