Auguste, suivant les indications de Charlotte, la mena à la rencontre de mister Battlestone... et de la statue.
Ayant écouté les déclarations de celui-ci, il les enregistra sans commentaire, commençant à triturer pensivement extrémité de sa fine moustache de sa main libre, et trouvant à son tour un immédiat intérêt pour ce buste féminin... (celui en marbre).

Rien à tirer de tout ça... Bon...

Le scientifique était circonspect. Plus le temps passait et plus sa présence en ces lieux lui semblaient incongrues... Il laissa les lettres après les avoir survolées pour en voir le contenu, sautant les passages personnels, et sortit de la pièce pour retourner au rez-de-chaussée. Une fois en bas, il se mit à faire les cent pas puis essaya de trouver Toinette ou George.

Le jardinier fut parcouru d'un frisson suite aux déclarations de Messire Battlestone.

Une fragrance de rose et une apparition ? Mais que sont ces plantes ?

Instinctivement il commença à reculer pour s'éloigner des plantes qu'il examinait un instant auparavant.

Visiblement, le récit des exploits du Comte vis-à-vis de l’incendie de la veille, conté par Rochelle, n’avait pas l’air d’intéresser beaucoup les journalistes. Ils notaient ces informations plus par politesse qu’autre chose.
Ils ne furent pas dupes de l’esquive de Rochelle concernant les Magnolias…
« La question porte sur l’affaire dite du Magnolia… Pouvez-vous nous en dire plus sur ce sujet ? » se sentit obligé de préciser l’un d’eux, sous les sourires narquois de ses collègues : Ceux-ci avaient bien compris que la Baronne était au courant de l’affaire.

La pensée envers les familles en deuil eut cependant raison de leurs assauts : Si les journalistes n’hésitaient plus à fouiller la vie privée des personnalités, il existait encore des barrières à ne pas franchir. Paradoxalement, la déontologie ne commencerait à être vraiment bafouée que lorsqu’elle serait érigée en principe !
Rochelle, sur le marchepied de son fiacre, pouvait s’y engouffrer comme répondre à la question du journaliste…

................

Malgré sa lecture en diagonale efficace, Archibald ne trouva rien dans la correspondance de Sabine concernant les lettres anonymes ou l’affaire du Magnolia. Certainement son père lui cachait l’existence de tout ceci.

Archibald n’eut aucun problème pour trouver Toinette et Georges : La chambre de Sabine devait être remise en ordre, et Archibald les trouva, remontant l’escalier.
Georges, trop récent dans la maison, laissa Toinette répondre aux questions du scientifique, de façon désordonnée :
« Et bien… cela fait trois à quatre semaines qu’elle était tombée malade. Pauvre petite ! Je la connais depuis qu’elle est bébé, vous savez! Oui, elle a reçu des amis, de l’université, qui lui ont apporté des cours. L’un d’eux s’appelle Léonce Morin. J’ai beaucoup connu sa mère… quel malheur, aussi ! Cette famille n’est pas gâtée, vraiment pas. Et sa cousine, Eliane, elle est venue, aussi. Mais sinon, peu de choses… Vous savez, quand on est fatiguée toute la journée, les visites sont aussi difficiles. Sabine restait la plupart du temps alitée, et passait le reste du temps dans la roseraie. Ca la soulageait, disait-elle… »

................

Dans la roseraie, personne ne reconnaissait la dame du buste en marbre.
William trouva une inscription, assez grossière, sur le socle, à l'arrière du buste : Antoine Bourdelle. Un sculpteur sans aucune réputation.
Pour Auguste, à voir la finesse des détails et la relative absence d'érosion, l’œuvre devait avoir une dizaine d'années.

Rochelle se retourna vivement vers le journaliste un peu trop insistant , tout sourire :

« L'affaire des Magnolias ... Vous parlez du dernier ragot que vous avez monté en soufflé pour en faire votre dernier gros titre ? Et de surcroît en insinuant que j'avais partie prenante dans cette histoire ... »

Elle secoua ses boucles délicates avec une moue de boudeuse triste, comme affreusement peinée par les mots prononcés par le gratte papier :

« Il est fâcheux qu'au lieu de faire votre travail , à savoir publier la vérité et informer vos lecteurs , vous vous laissiez aller à la facilité en colportant des" on-dits " ... Je vous le redis , je n'ai jamais mis les pieds en Afrique , je ne connais le Comte que depuis quelques jours et enfin j'ajouterai que la politique m'ennuie et que je m'en tiens a respectable distance . »

La baronne fit une pose, pencha la tête avec un sourire malicieux
« Et puis .. je ne sais pas , mais franchement, vous ne trouvez pas étrange qu'un collaborateur du Comte l'accuse comme ça, au lieu de rassembler des preuves et d'avertir les services policiers concernés ? ... Je ne sais pas mais je ne trouve pas ça très logique . .. Bien sûr je ne suis qu'une femme , mais moi j'avertirais la presse uniquement pour mettre un rival dans l'embarras ....Enfin je suis sûre que vous avez vérifié les informations et la moralité de l'accusateur . »

Puis sur un dernier sourire , elle prit place dans le fiacre, et donna l'ordre de la conduire chez Worth, il était encore tôt, autant en profiter. Elle rencontrerait les gens du tout Paris plus tard.

William devait en avoir le cœur net. Sa curiosité de journaliste était à présent piquée au vif par l'aiguillon du mystère.

Sans un mot il quitta la roseraie à grands pas et se rua dans le bureau du Comte.
Tout en morigénant et jurant, il se mit à chercher une photo ou un portrait peint de la mère de Sabine ou de cette étrange femme qui semblait veiller sur la famille Saint Périer.

« Il ne nous dit pas tout... » Ne cessait-il de répéter en grognant. « Ma main au feu qu'il connaissait cette femme. »

William inspectait photos et papiers qu'il sortait des tiroirs et des secrétaires.

Auguste lâcha sa moustache quand l'anglais lunatique les laissa brutalement en plan. Quelle mouche l'avait piqué ?
Haussant simplement un sourcil, il raccompagna demoiselle à son bras pour la confier à ceux du banc :
« - Aheum. Ce buste est une récente sculpture, dix ans au maximum. Le Comte saura nous en dire plus à son sujet, et sans doute aussi sur cette femme qui lui servit de modèle. Permettez-moi de reprendre mon bras quelques instants, j'ai quelque salissant travail à effectuer... »
Confiant sa veste à l'institutrice, et prenant pioche et pelle qu'il avait requises, il demanda à Louis :
« Monsieur Muller, où exactement avez-vous vu disparaître dans le sol... ce Dudule ? » Et sur ces indications, il commencerait aussitôt à creuser...

« La roseraie? Hmmm... Vous pouvez me laisser quelques minutes dans la chambre, avant que vous ne la rangiez, s'il vous plait? »

Le scientifique n'attendit pas de réponse et s'engouffra dans la chambre. Certes, elle n'avait pas confié quoi que ce soit à ses proches mais peut-être, avait-elle un journal intime? Ca ne coutait rien de chercher et Archibald se mit en quête de farfouiller dans la chambre, en espérant en trouver un...

Les journalistes réagirent aux propos de Rochelle : « Nous faisons notre travail, qui est d’informer, et vous faites le vôtre, en vous défendant, madame la Baronne. » Sous-entendu que cela n’autorisait pas les propos méprisants.

Le fiacre conduit Rochelle chez son tailleur habituel, Worth et Bobergh, rue de la Paix. Le même gérant affable que la veille accourut pour servir en personne cette cliente régulière.
« Bonjour, Madame la Baronne. J’ai vu que vous étiez au Palais National dans les journaux. Je suis heureux de vous voir en parfaite santé… »
Evidemment, il ne parla pas des autres titres des journaux, qu’il devait aussi connaître. Et si cela pouvait ternir la réputation de la Baronne, les affaires étant les affaires, il n’en montrait rien devant elle.
« Je n’oserai vous demander si la Céleste a comblé vos attentes, vu les circonstances. Que puis-je pour vous ? »

……………

William partit dans le bureau du Comte. Il n’eut pas besoin de chercher longtemps pour reconnaitre une photographie, sur la cheminée d’apparat, qui devait être celle de sa défunte épouse. Celle-ci ne correspondait pas au buste de la roseraie.
Il ouvrit les tiroirs du bureau, ne trouvant rien d’intérêt, jusqu’à ce que Georges, attiré par quelques bruits, intervienne.
« Monsieur, que puis-je pour vous ? »
C’était une façon détournée de demander ce que William faisait à fouiller le bureau d’un Secrétaire d’Etat, fut-il un ami…


……………

Auguste, aidé par Louis, creusa dans la roseraie, sur les lieux de la disparition de « Dudule ». Charlotte, moins fatiguée que précédemment, regarda les hommes s’affairer à ce travail manuel.
Sous le gravier, la terre était ferme, et il fallut de bons coups de pelle pour commencer à écailler ce sol. Heureusement, les muscles des deux enquêteurs étaient suffisamment développés pour ça.
Après quelques dizaines de centimètres de terres excavées sur une surface de la taille d’un homme, ils durent se rendre à l’évidence : il n’y avait rien d’intérêt à cet endroit. Si artifices il y avait pour expliquer ce qu’avait vu Louis, il n’en restait plus de traces ce matin.


……………

« Bien sûr… si cela vous permet de retrouver Sabine ! » répondit Philippe à Archibald.

Archibald retrouva le carnet intime de Sabine.
Cependant, il savait que lire ce carnet serait ressenti comme un viol par une jeune fille… Debout dans l’encadrure de la porte, Toinette dévisageait Archibald, attendant la réaction d’Archibald. Partagée entre deux sentiments contradictoires, elle finit par dire : « Vous… vous n’allez pas l’ouvrir ? »

« Non, non... Enfin, si... Peut-être... »

Archibald soupira. La jeune fille avait disparu et le scientifique explorait toutes les possibilités. Peut-être l'enlèvement n'avait rien à voir avec son père mais avec elle. Pourquoi? La solution se trouvait-elle dans ce carnet? Peut-être pas...

« Peut-être son enlèvement n'a rien à voir avec son père.... Peut-être mentionne-t'elle quelque chose là-dedans, concernant tous les événements qui se produisent... Peut-être a-t'elle vu quelque chose avant son enlèvement...

Ce n'est pas contre elle... Ne vous en faites pas, je ne le lirai qu'en dernier recours...

Et je préférerai que ce soit une femme plus proche de la petite que moi qui le lise... Non pas pour nuire à une quelconque relation, j'en assumerai l'entière responsabilité... Mais parce qu'une femme pourra sauter les passages vraiment trop... intimes qu'un esprit comme le mien, habitué à tout lire, ne sauterait pas. »

Attendant que les deux hommes aient fini leur excavation, Charlotte laissa son esprit vagabonder. Elle pensa à la malheureuse Sabine, se remémora les risques qu’elle-même avait pris pour la sauver. Elle admira les fleurs, autour d’elle. Puis pensa à ce buste. Enfin, elle revint aux lettres. Puis à toute cette histoire.
Charlotte se sentait bien dans cette roseraie, comme si celle-ci la régénérait.

Les hommes avaient laissé retomber leurs pelles. D’un bond, Charlotte se leva pour voir au fond du trou… qu’il n’y avait rien.

Devant le regard interrogatif des deux hommes, elle s’aperçut que, si elle n’était pas encore totalement guérie de ses blessures, au moins avait-elle retrouvé toute sa vigueur ! Et bien plus vite que ce que le médecin de campagne (militaire) avait prédit. Les gestes qu’elle venait de faire auraient été impossibles une heure plus tôt.

Un peu surprise d'un tel regain d'énergie, Charlotte trouve cette roseraie fort réconfortante et adresse un muet, mais sincère et profond, remerciement à une si puissante source d'énergie vitale.

Décidant donc d'aller profiter de sa bonne forme, Charlotte prend le parti d'aller explorer l'ensemble du jardin ....
en commençant par le repérage des fenêtre d'où les voix nocturnes ont été entendues et surtout identifier le « point de vue » qu'a cette belle statue sur l'ensemble du jardin.

Tout à sa circonspection devant le terrassement inutile, Auguste s'aperçut trop tard que Charlotte déambulait, ayant échappé à sa vigilance et faisant fi de ses consignes :« Mais... » s'étonna-t-il en la voyant marcher sans hésiter -ni grimacer-. Cette jeune femme a des ressources incroyables ! N'importe quel conscrit aurait passé quelques jours alité après de telles blessures... Renonçant pour l'instant à faire toute remarque -qui ne serait de toute façon pas suivie-, il haussa les épaules vers son compagnon :
« Eh bien... voilà ce qu'on appelle faire chou blanc... il ne nous reste plus qu'à reboucher ce trou, que je vous ai fait faire pour rien, mon ami. »
Enfin, pas tout à fait pour rien : il fallait bien en avoir le coeur net. La disparition du vaurien "au sol" ne pouvait plus être considérée comme "possible" -en l'absence de truquage/trappe ou autre artifice.
Donc, fosse rebouchée, restant en bras de chemise, il irait réexaminer la sortie murée, et voir si une escalade était possible de ce côté-là : il comptait se percher en haut du mur et détailler les autres voies de fuite possible... et la recherche de traces profondes de saut au sol, détrempé par les pluies de la nuit... dans l'une ou l'autre des propriétés mitoyennes...

Louis commença à reboucher le trou tout en s'adressant au médecin : « Je dois vous avouer que l'absence de corps me réjouit légèrement. Si cette absence nous prive de toute piste supplémentaire elle me conforte dans le fait que ce que j'ai vécu hier n'était qu'une hallucination passagère.

Je regrette toutefois qu'elle soit arrivée car nous aurions alors une piste si j'avais réussi à capturer ce dudule. »

Toinette s’approcha d’Archibald et d’un geste sec, arracha le journal intime de ses mains. D’une voix blanche, elle affirma : « Bien, je vais le lire… je vous dirai s’il y a quelque chose d’intéressant dedans… »
Vu la taille du carnet, elle en aurait pour la matinée. A la demande du scientifique, elle lit les dernières pages, et fit une moue négative : Sabine ne faisait que parler de l’évolution de sa maladie, et sa volonté de guérir vite en suivant scrupuleusement l’ordonnance du Docteur Alain.
Montrant son absence de distractions pendant cette période, la seule anecdote qu’elle indiquait parlait d’une fois où, étrangement, la porte de sa table de chevet s’était ouverte en grand, la nuit. Un flacon de médicament s’était alors renversé, le bouchon avait sauté, et le liquide s’était répandu sur le sol. Il avait fallu demander au Docteur Alain de refaire la préparation.

Toinette mit la main à sa bouche, avec une expression d’horreur : « Mais… Mademoiselle n’a plus ses médicaments, maintenant ! Mon dieu ! Monsieur, retrouvez-là vite, s’il vous plait ! » implora-t’elle au scientifique.

…………..

Dans la roseraie, la conclusion du trio était certaine : Dudule n’était pas dans la terre. Mais cela ne permettait pas forcément de conclure quant à la vision qu’avait eue Louis la veille. En tout cas, lui semblait préférer croire qu’il avait rêvé.

Pendant que les deux hommes rebouchaient le trou, Charlotte se plaça au niveau de la statue, et regarda dans la direction indiquée par le buste. Ses yeux se posèrent sur un rosier. De simples roses galliques de couleur… rose. Malheureusement, certaines commencent à se faner.

Auguste grimpa l’un des murs plus anciens. Ceux-ci donnaient sur une unique propriété de la taille de celle du Comte, avec une maison semblable. Personne n’était dans le jardin à cette heure. La porte murée donnait aussi dans ce jardin. Cette propriété présentait ses pignons sur la rue opposée du pâté de maison.

Charlotte, pendant que ces messieurs s'occupents à jouer les terrassiers, décide d'aller voir ces roses, et de casser proprement du bout des ongles les fleurs fanées : c'est plus joli et cela soulage le rosier qui peut ainsi distribuer sa sève aux parties qui en ont besoin.

« Hmmm, un coup de vent... surement... Merci, Toinette. Rangez-le et ne vous en veuillez pas. Quand Sabine reviendra, si elle vous pose des questions, jetez toute la responsabilité sur moi... Après tout, je vous y ai un peu forcé... »

Le scientifique retourna dans la chambre. Un détail le taraudait. Le médecin pensait à une fatigue passagère mais l'état de la jeune femme empirait, selon son père... Attrapant l'ordonnance et quelques échantillons de la médication, Archibald se tourna vers la servante:

« J'en prends un peu avec nous... Si nous la retrouvons, nous pourrons lui donner son traitement, ainsi... Merci, Toinette. »

L'homme descendit alors vers le bas et chercha le médecin militaire. Celui-ci avait disparu au niveau de la roseraie, avec le jardinier et la blessée. Archibald était embarrassé car son plus grand défaut résonnait en cet instant, son incapacité à se souvenir des prénoms des gens:

« Ahem... Vous êtes là? J'aurais besoin d'un avis médical... »

Auguste observa de son point haut le sol de l'autre côté : détrempé comme il devait l'être après les pluies de la nuit, toute réception de Dudule (ou autre) y aurait laissé des traces évidentes, visibles même à cette hauteur...
Ensuite, il évalua l'état d'entretien du jardin parisien... qui avait renoncé à la florissante roseraie. Etait-il à l'abandon ?
Puis il s'intéressa à celui du bâtiment (bien sûr peu animé en ce tout début de journée) : quel en était la taille, l'aspect (entretenu ? occupé ?) et la richesse apparente (en ce quartier cossu).
Hum ? L'interpellation de "leur" savant Cosinus (Legabier apprécierait-il sa hauteur de vue en cet instant ?) l'arracha à ses pensées... et le fit revenir en arrière après ces observations...
Atterrissant tranquillement dans la roseraie, il signala :
« Un avis médical ? Nous sommes là ! Vous êtes-vous blessé ? »

« Non, non, pas dernièrement... Je voulais vous demander, vous avez jeté un œil à la médication de la petite? »

Le scientifique tendit l'ordonnance et les flacons au médecin:

« Elle est toujours aussi faible, malgré le fait que le docteur disait qu'il ne s'agissait que d'un coup de fatigue... Peut-être s'est-il trompé dans les dosages ou la composition? Et surtout, que se passera-t'il si elle ne prend pas ses médicaments? De combien de temps disposons-nous avant que son état n'empire? »