Archibald, gentilhomme, se prépara sous les yeux admiratifs de Charlotte à défendre l’honneur de celle qui était censée être sa belle.
Trop occupés à rire de cette démonstration de force, les deux malfrats ne virent pas Auguste faire des signes à ses amis afin d’empoigner les deux gardes et les assommer.

Celui légèrement en retrait, qui aurait bien laissé Archibald et Charlotte passer pour ne pas attirer l’attention, fut rapidement attrapé par Auguste, qui lui mit la main sur le visage afin de l'empêcher de crier. Vire l’assomma d’un seul coup précis sur le crâne. Le corps sombra dans les bras du médecin militaire.
Il fallut deux pas de plus à Louis et Figurat pour atteindre le plus agressif des deux gardes. Ce dernier sentit des mouvements derrière lui, et Figurat ne fut pas assez prompt pour l’immobiliser. A peine put-il lui ceinturer la taille. Louis, presque aussi adroit que Vire, faillit à assomer cette cible d’un seul coup, et bien qu’il ait clairement touché son adversaire, ce dernier était toujours debout ! William, ayant coordonné son assaut, l’atteint au ventre d’un uppercut bien placé, mais le soldat, même le souffle coupé, semblait encore conscient.
« P’tain, qu’est-ce !!! » cria-t’il. Il frappa Figurat d’un coup plutôt mou, mais l’obligeant tout de même à lâcher sa prise. Il était prêt à courir pour rejoindre le porche, mais Auguste et Vire seraient aussi sur son passage.
« Saleté de connard de putain de merde ! » jura-t’il. Le nombre était évidemment contre lui, surtout que Gagnasse et le Caporal Dutilleul arrivaient en courant vers le lieu du combat.

Profitant de la confusion, Charlotte asséna, de la crosse de son révolver (toujours tenu par le canon au creux de son bras) sur le crâne du malotru récalcitrant,
un grand coup contenant toute sa hargne contre les agissements des « singes bleus ».
Et cette ire n'étant pas petite, le malfrat la sentit douloureusement passer ...

Louis n'avait pas réussi à frapper assez fort pour assommer le garde et il risquait maintenant de donner l'alarme.

Charlotte avait profité de la confusion pour tenter à son tour de mettre hors d'état de nuire le malfrat et le jardinier se tenait prêt à lui asséner un nouveau coup de crosse si le besoin s'en faisait sentir.

Attrapant sa canne a deux mains, le vieux scientifique s'avança pour en delivrer un coup sur le crane de leur adversaire avant que l'enfoiré de service ne braille.

Mais la melee ne l'aidait pas vraiment...

Il n’y avait aucune raison que la gent féminine reste à l’écart de ce combat, aussi Charlotte s’approcha du pas vif que lui permettait sa jeunesse, et d’un coup bref, envoya le mécréant au pays des songes, avant qu’il ne puisse donner l’alarme. Figurat sentit tout le poids de l’homme fondre dans ses bras.

Les sauveteurs avaient maintenant deux corps inconscient avec eux. La rue devint étrangement calme.
Le porche qu’ils avaient ainsi dégagé était fermé par une grande double-porte. Cependant, une porte plus petite était inscrite dans le battant de droite, et était à demi-ouverte. Derrière, les ténèbres n’étaient troublés par aucune lumière.
Un léger parfum de rose vint brièvement taquiner les narines...

Entrainant Archibald à sa suite avec des airs de conspiratrice, Charlotte se faufila par la petite porte entrouverte en chuchotant « la rose ... par ici ... »
Tous ses sens aux aguets elle tenta de percer les ténèbres pour parvenir à se repérer ...

« Si vous rentriez ces estourbis ... » chuchota-t-elle aux autres « ... ça ferait moins désordre que dans la rue. »

William regarda les deux malfrats gisant contre le trottoir. Puis il essaya de repérer l'entrée d'une cour ou d'un hall proche.
« Je préfèrerais les savoir attacher dans une autre entrée que celle ci. » Murmura t il à l'attention de ses comparses. « Il ne faudrait pas qu'ils nous coupent la sortie s'ils se réveillent. »

Auguste était déjà en train d'ôter la ceinture de celui qu'il avait "en mains", et l'utilisait pour lui ligoter les poignets dans le dos ; il arracherait ensuite manche de chemise ou maillot pour confectionner solide bâillon de fortune, avec une habileté et une précision... chirurgicales.
« Rentrons-les tous deux à l'intérieur, ligotés, bâillonnés, les lacets attachés en croisant les chaussures pour qu'ils ne puissent filer... . et il nous faut laisser un homme ici, autant pour garder cette issue que renvoyer chez Morphée ces vauriens s'il leur vient l'idée de bouger. Gagnasse, restez ici et armé, portez à tout hasard une casquette de singe bleu pour donner le change. Si quelqu'un demande à entrer avec le mot de passe, laissez-le dehors et demandez-lui de revenir dans une heure, comme quoi c'est les ordres du 'pitaine !
Fouillons-les à la recherche d'une clé et pour les désarmer et... grmbll... si quelqu'un pouvait attraper mam'zelle Touttain avant qu'elle ne s'engouffre là-dedans... ! »

Les soldats aidèrent Auguste à ligoter et bâillonner les malfrats. Rapidement, ils mirent la main sur un trousseau de clés de grandes tailles. Elles pouvaient correspondre à des grands portails, comme celui à double battant que ces gardes surveillaient.
Une fois la petite porte passée, les ténèbres, ainsi que le silence, enveloppèrent Charlotte. Une odeur de pisse froide se mélangeait à celle du gas-oil, et finit par couvrir celle de rose. Le sol était pavé. De l’autre côté de la porte, après un couloir d’une dizaine de mètres assez haut et large pour laisser passer des véhicules à deux chevaux, Charlotte distingua les contours grisés d’une ouverture sur une cour intérieure. Dérangé par les intrus, un chat s’en alla vers cette ouverture d’un pas nonchalant mais attentif.
Les hommes installèrent les deux assommés contre le sol, à l’intérieur de ce couloir, en tentant de faire le moins de bruits possibles. Gagnasse prit la casquette de l’un des singes bleus, et se posta dans l’embrasure de la porte. « D’ici, je les surveille et je couvre la sortie… » dit-il à voix basse. « Vous pouvez y aller… »

Serrant dans sa main droite le canon de son révolver lui servant de matraque et de son bras gauche le bras d'Archibald, Charlotte se tint prête à suivre le mouvement.
Maintenant qu'elle se trouvait dans la gueule du loup, la jeune institutrice avait bien besoin de s'amarrer solidement à tout ce qui pouvait la réconforter et lui conserver son courage, c'est pourquoi elle adressa également une prière secrète à la rose protectrice pour qu'ils parviennent entiers et à temps pour sauver Sabine ...

Auguste s'empara du trousseau pour un rapide classement des tailles et formes de clés. Il hésita à verrouiller le portail... mais a priori, si quelqu'un devait s'enfuir rapidement d'ici, ce serait d'abord eux-mêmes -s'ils trouvaient Sabine !
Il acquiesça au grand Gagnasse qui tiendrait cette sortie et encouragea les autres à voix basse :
« Excellente manœuvre, bravo à tous. Sans pour autant perdre de temps, il nous faut d'abord nous repérer en ce bâtiment. On avance en deux colonnes sans faire de bruit, Figurat avec moi à droite. Louis et Archibald, vous nous suivez en protégeant mam'zelle au plus près ; Dutilleul et Vire par la gauche, avec William ; on remonte jusqu'à la cour intérieure en vérifiant les portes sur notre passage. On recherche de la lumière et des bruits d'occupation... et...hmm...une senteur de rose, mais sans se précipiter, hein !
Dans la cour devrait y'avoir leur automobile et sûrement quelqu'un à proximité... Figurat, prenez la deuxième casquette de singe bleu... s'il y a besoin d'approcher en planquant votre visage... »

Satisfaite du plan proposé, Charlotte vint docilement se placer à la place convenue sans lâcher le bras d'Archibald, ni bien sûr sa poigne sur le canon du révolver confié à sa petite main délicate.

Obéissant aux consignes d'Auguste Louis se plaça légèrement devant Archibald et Charlotte. Il hésitait sur la façon dont il devait tenir son arme pour l'instant : devait-il s'en servir encore comme matraque ou bien se tenir prêt à tirer ?

J'espère ne pas avoir à m'en servir. pensa-t-il, pessimiste.

Les soldats acceptèrent les ordres. Figurat prit la deuxième casquette, et s’élança avec Auguste par la droite du couloir, Louis, Archibald et Charlotte sur les talons, alors que Vire et le sergent passaient par la gauche, immédiatement suivis par William.

En dix mètres, ils ne trouvèrent aucune porte qui donnât sur l’une des ailes de cette bâtisse. Le large couloir déboucha sur une cour intérieure d’une cinquantaine de mètres carrés.
De nombreuses portes donnaient sur cet espace, ainsi que nombres de fenêtres. La plupart étaient ouvertes, ou au contraire condamnées, indiquant que les lieux ne devaient pas être habités.

Comme s’y attendait Auguste, la Delahaye des brigands étaient rangée sur un côté de la placette. Une lumière blafarde pointait par l’une des fenêtres les plus proches du véhicule.
Autour de cette fenêtre, les enquêteurs pouvaient distinguer les limites d’un bâtiment faisant face au couloir, de huit mètres de large, avec une double porte au rez-de-chaussée, deux fenêtres, puis une porte de taille normale. Les six fenêtres de l’étage laissaient supposer que la hauteur sous plafond du rez-de-chaussée était d’au moins 3m50.

Les enquêteurs ne virent personne, à part le chat qu’ils avaient précédemment dérangé. Celui-ci s’enfuit en passant par une porte entrouverte à l’opposé de la voiture.
Seuls les battements des cœurs troublaient le silence.

Ils y étaient.
Auguste sentit le souffle glacé de la peur glisser sur son échine.
L'instant avant le combat, inévitable.
Et en plus, c'était à lui de décider.
Serrant dans l'autre les clés pour qu'elles ne fassent pas de bruit, il se libéra une main pour remettre son pistolet d'ordonnance en son étui à sa ceinture, et fit un grand signe à William, Dutilleul et Vire pour qu'ils les rejoignent.
Puis il passa cette main libre et un peu moite dans sa nuque en expirant lentement, lissant les petits cheveux hérissés et reprenant contrôle de son corps.
Il ne fallait surtout pas se précipiter...
L'obscurité était l'alliée de tous... mais l'amie de personne.
Le but (Sabine) n'était toujours pas localisé, et ils étaient en plein territoire ennemi.
Mais le temps n'était plus à la reconnaissance minutieuse et progressive.
Et la lumière, si attirante... était aussi, évident signe de danger.
Restant dans le couloir sans encore s'aventurer dans la cour, dès que leur ami anglais et les soldats les auraient rejoints, il tiendrait conciliabule à voix basse :
« Nous y voilà. Au vu de la lumière et de la position de la voiture, prête au départ pour tout à l'heure, c'est le bâtiment d'en face qu'il nous faut investir.
Première question : l'un ou l'autre d'entre vous est-il capable de conduire cette... heum... auto-mobile à moteur ?
Deuxième question : y'a-t-il un volontaire pour se planquer dedans ? Pour surveiller le véhicule et la cour...
Ensuite, je pense qu'il faut continuer l'exploration de la cour, à la recherche de quelque garde ou des endormis comme on a fait pour le couloir, en deux groupes... par la gauche et la droite.
La lumière c'est peut être simplement le couple qu'on vient de voir rentrer...
Mais notre objectif principal, c'est de toute façon en face, alors autant commencer par là...
Et dans tous les cas, cela nous fera du monde à interroger.
Si on n'a pas d'autres indices en notre tour de la cour, je suis pour verrouiller la double porte "de fuite" et pénétrer plutôt par la petite porte, tous ensemble, après s'être regroupés... »

A la première question d'Auguste, William secoua la tête. Il n'avait jamais vraiment prit le temps d'apprendre comment fonctionnait ces voitures automobiles. Pourtant au vu de la multiplication de ces engins pétaradants, il faudrait bien qu'un jour il s'y intéresse.

« Prenons chacun un côté de la cour, en longeant les murs et scrutant les ouvertures. » répondit William. « Vous par la droite, vous pourrez alors fermer la double porte en arrivant devant. »
Le reporter désigna le trousseau de clé.

« Pendant ce temps et au même rythme, j'avance par la gauche avec Vire et Dutilleul. Nous nous retrouvons à la voiture. »

« Mlle Touttain, Louis, Archibald, je vous propose de suivre Auguste et son groupe, vous pourrez toujours veiller sur ses arrières pendant qu'il trouve la bonne clé. » Retrouver une clé dans un trousseau et les essayer à tour de rôle était invariablement source d'énervement et d'inattention qui pouvait se révéler périlleux dans ce genre d'ambiance.

Aucun des aventuriers ne savait conduire une automobile. Archibald, William et Charlotte en avait bien sûr vu certaines conduite : Cela n’avait pas l’air bien compliqué. Mais démarrer cette auto, manœuvrer dans la cour, et sortir d'ici en trombe, avec l'obscurité et le stress qui les gagnait, cela semblait un risque trop important à courir.

Les compagnons décidèrent d’investir les lieux.
Du côté gauche, William, Vire et Dutilleul s’avancèrent à pas de loup, profitant de l’obscurité. Sans rencontrer d’obstacle, ils arrivèrent au niveau de la porte par laquelle le chat s’était enfui, à l’angle de la cour. La porte était ouverte, et William sentit comme un courant d’air venant de ce couloir. Il leur restait maintenant à traverser la cour sous les fenêtres pour rejoindre la voiture, de l’autre côté.

Du côté droit, Auguste était suivi de Figurat, Louis, Archibald et Charlotte. Un coup d’œil par-dessus la voiture leur permit d’avoir en angle un aperçu du contenu de la pièce éclairée : Ils y virent une table encombrée de bouteilles et de jetons à laquelle étaient attablés deux… au moins deux hommes (il faudrait se rapprocher pour avoir un meilleur angle de vue). Plus loin dans la pièce, ils virent le bout d’un canapé… La salle semblait très grande. Tout cela semblait éclairé par une ou deux lampes à huile.
Le groupe arriva devant la double porte… A côté d’eux se trouvait une porte plus petite, à l’angle de la place, qui faisait écho à celle devant laquelle William et son groupe se trouvaient. La fenêtre éclairée était à trois pas, et ils touchaient presque l’automobile.

Auguste inspecta prudemment le véhicule automobile et son contenu... dans l'espoir notamment de trouver la manivelle de démarrage (et de la subtiliser).
Ensuite il essaierait à la double porte (et la petite attenante) les clés du trousseau qu'il avait en mains, afin de verrouiller celles-ci, si ce n'était déjà fait. Ceci réglé, ils rejoindraient précautionneusement le groupe de gauche (Dutilleul, Vire et William) quitte à refaire le tour de la cour si il était risqué de passer directement sans se faire voir...

Nerveuse, tendue, partagée entre peur et impatience, Charlotte rongeait son frein en silence et en broyant le bras d'Archibald.
Elle savait bien que se ruer sans précaution dans cette situation était la dernière des choses à faire.
Mais chaque seconde était précieuse ....
Tous les sens en alerte, elle guettait le moindre son qui viendrait confirmer la présence de Sabine quelque part, le moindre fumet (de rose?) qui la mettrait sur la voie ....

Louis suivait prudemment Auguste, s'arrêtant lorsque l'homme s'arrêtait, afin d'être le plus discret possible.

Mais quelle idée avons-nous eu là... se laissa-t-il aller à penser.