« Jehan ?! Grands dieux ! La petite ... » dit Charlotte en se précipitant vers la porte d'entrée.


Porte d'entrée où elle retrouve le petit Jehan du haut de ses 8 ans, l'observe pour voir s'il a l'air en urgence ou simplement intimidé par les lieux...
Charlotte, malgré sa précipitation, prend le temps de ralentir ses deux dernières enjambées, et s'accroupit devant l'enfant pour lui parler à hauteur d'yeux.
« Alors Jehan, tu es venu pour me dire quelque chose ? »

Il n'y avait donc personne pour écouter aux portes ; cette vérification était indispensable. Le panorama sur le hall d'entrée rappela à Auguste qu'il n'était arrivé que la veille et que les événements continuaient à s'enchaîner en cascade, dans le seul but d'emporter St Périer vers la démission. Le plan était ourdi de longue date, mais eux n'avaient que quelques heures pour tenter de le déjouer.
Le comte s'abandonnait à la résignation, et les compagnons exprimaient leurs frustrations...
Il est vrai que personne ne miserait un sou sur leurs chances de sauver leur ami de cette exécution programmée. Pas sans aide...
Repensant alors aux lettres anonymes, le médecin remit à sa place cette pièce du puzzle. Mais, ils avaient été prévenus...
L'empoisonneur avait été révélé -et éliminé. Ils avaient de l'aide !...
Néanmoins, sans préjuger des pouvoirs... heum... des "capacités" de la protectrice de Sabine, sa sphère d'influence ne s'étendait sûrement pas jusqu'aux "Singes bleus" découverts par Battlestone... ni jusqu'à leur commanditaire.
Et pas question de se lancer à l'aveuglette pour fouiller Belleville, La Villette ou Bercy : il fallait les localiser avant demain matin !
Leurs ressources devraient se focaliser sur ce seul objectif, toutes leurs ressources -il en parlerait à la roseraie-. Inutile de suivre les autres pistes qui ne concernaient que Rose Lebrun (maître Sidieux) ou le maléfique marionettiste (tirant les ficelles du directeur du Matin ayant mis Emile Plantin aux archives, comme de Lucien Gambier et tous autres collaborateurs véreux sous influence).
Lui-même irait illico au Val de Grâce à la recherche de renseignements sur cet ex-capitaine Duport et ses Singes bleus vérolés, William à ses espions locaux, et... Rose à ses lettres de dénonciation !?
Mais, alors que, se préparant à agir en cherchant le meilleur raccourci, il était encore perdu dans ses pensées, l'officier fut ramené à l'instant présent par l'irruption du majordome et l'annonce d'un message...
Jehan Mulot ?!?
On a toujours besoin d'un plus petit que soi...

Jehan était encore essoufflé de sa course. La sueur qui ressortait des pores de sa peau montrait qu’il avait traversé Paris en courant.
« Pfouu… Bonjour… Elle… s’est réveillée ! … »
Charlotte, prenant sur elle, calma son élève par des paroles reposantes. Il reprit son souffle.
« Maman m’a dit de vous dire qu’elle s’appelle Edwige Douville. Et que y faut pas trop le dire, passeque ceux qu’ont fait ça peuvent revenir la tabasser. » ajouta-t’il avec un regard méfiant vers les enquêteurs qui approchaient. « Ce qu’a compris maman, quand la dame délirait, c’est que c’est des animaux cruels et sauvages qui vivent dans la jungle ! Des gorilles énormes avec une sale gueule et des grosses dents. Ca mange les hommes, ça, tout le monde le sait. Elle a eu de la chance de s’en sortir ! » affirma-t’il, en prenant un air important.
Certainement que le message avait été un peu transformé par le garçon.

« Vous allez chez vous ? On prendra un fiacre ? » demanda-t’il, les yeux brillants. Certainement que le pauvre garçon, dont la mère travaillait dur pour des revenus faibles et irréguliers, n’avait jamais utilisé un tel moyen de transport.

Charlotte lève un sourcil interrogateur .... et regarde le petit Jehan ... « probablement, mais peut-être pas toute seule » répond-elle au jeune garçon avec le sourire.
Puis se relevant elle se tourne vers les enquêteurs en herbe qui l'ont suivie : « Messieurs ... J'ai recueilli, chez moi, hier matin, une jeune femme laissée pour morte dans la rue et ramassée par ma femme de charge, Mme Mulot, dont ce grand gaillard est le fils, Jehan Mulot. » dit-elle en achevant les présentations officielles, la main sur l'épaule du garçon.
« Et Jehan vient de me dire que cette jeune fille, agressée hier, a dit dans sa fièvre avoir été attaquée par des « Gorilles ». Je vais donc filer chez moi, accompagnée de ceux d'entre-vous qui y verraient un intérêt -Dr Duchamps, votre présence me semble utile-, je vais essayer de lui parler pour essayer de savoir s'il ne s'agirait pas de ces fameux « singes bleus » que nous cherchons et ce qu'elle pourrait nous en dire. Mais vous pourriez avoir des idées et des questions complémentaires à lui poser. Docteur, elle était vraiment très mal hier, et un examen complémentaire me semble souhaitable. » Puis elle se tourne vers l'enfant et lui demande « Jehan, tu veux bien essayer de nous héler un fiacre le temps que mes amis et moi prenions nos manteaux ? »

Le praticien d'expérience avait l'habitude... le fait de trouver un médecin donnait constamment le réflexe de lui "refiler" aussitôt la responsabilité de ceux qui nécessitaient des soins -même quand il ne s'agissait pas de soins médicaux.
« Allons, mademoiselle... vous n'avez guère cherché pour elle mes compétences médicales depuis hier, et les nouvelles que vous apporte votre zélée estafette n'ont rien de préoccupant, apparemment. Et puis, ce n'est pas l'urgence du moment, ne croyez-vous pas ? » Levant un sourcil circonspect et une main paume tendue pour stopper les protestations -ou du moins les suspendre-, il reprit avec conviction :
« Il nous reste bien peu de temps pour trouver ces Singes... dont je peux vous assurer que l'animal éponyme n'a rien de cannibale. Si vous devez interroger votre protégée, faites lui préciser s'ils portent veste bleue comme notre infanterie -ou le Dudule disparu-, et s'ils ont de sales trognes -marquées par la vérole.
Je vais quant à moi quêter renseignements au Val de Grâce chez les sous-officiers, réformés suite à leurs blessures, qui en assurent l'intendance. Le meilleur réseau d'information sur les anciens soldats en notre capitale !
Et notre ami journaliste devrait interroger ses sources locales et suivre cette piste, car elle est la plus prometteuse. Messieurs, à vous de choisir qui vous accompagnez...
Et retrouvons nous ensuite ici, au plus vite... »
Auguste avait l'intention de quêter auprès de Philippe, l'accès à la cave du Comte sans plus attendre, pour y prélever quelque bonne bouteille : il n'y a pas de meilleur "passe" chez les adjudants...

Louis se calma après l'intervention d'Archibald. « Veuillez excuser mon emportement. »

Soudain Georges arriva en parlant d'un jeune garçon ce qui fit bondir Dame Charlotte. Il fallait maintenant se rendre au domicile de Mme Touttain. Est-ce vraiment utile ?

Mais le docteur Duchamp en décida autrement. C'est plus logique effectivement.

Louis décida de ne pas quitter la maison. « Je vais rester ici. Je pense qu'il serait imprudent de laisser le comte seul pour l'instant. De plus rien ne nous dit que ces fameux singes ne vont pas encore tenter quoi que ce soit pour s'assurer de la coopération du comte. Bon courage à tous dans vos recherches et soyez prudents. »

« Bien ! Blouse bleue ; Casquette ; Visage grêlé ou masqué ... autre chose ? » demande Charlotte
« Je prends mon manteau et je fais vite ... » lâche-t-elle en grimpant 4 à 4 l'escalier qui mène à l'étage
« Réfléchissez le temps que je m'habille ... je ne voudrais ne rien oublier ... »

« Demandez lui les circonstances de l'agression et pourquoi ils se sont arrêtés, si elle le sait... On ne sait jamais, peut-être quelqu'un a-t'il pu voir autre chose... »

Archibald réfléchissait calmement à la situation, posant et analysant les faits les uns après les autres. La toile se composait mais il restait des parts d'ombre et si il y avait bien une chose qu'un scientifique n'aimait pas, c'était de ne pas trouver la solution...

Charlotte ne tarda pas à redescendre, fin prête.
Bon alors, je récapitule :
« Avaient-ils des Blouse bleue ; Casquette ; Visage grêlé ou masqué ...
« Pourquoi et comment » ils l'ont agressée
« Qui sont-ils ? » si elle le sait
« Où résident-ils ? » si elle le sait et que ce sont nos singes bleus
« Pourquoi se sont-ils arrêtés ? » ils ont pu la croire morte ou être interrompus, c'est juste, je n'y aurais pas pensé. »
liste Charlotte en ajustant son chapeau devant le miroir de l'entrée.
« Et bien je fais le plus vite possible et je reviens aussitôt ... »

Charlotte sort donc pour se jeter dans le fiacre qui devrait être arrêté devant le perron du Comte grâce aux bons soins du petit Jehan ...

Il avait écouté disputes et arguments avec un flegme des plus britannique, un calme qu'il était loin d'éprouver en réalité.

Comme les autres il était sensible au stress de la situation. Et ce regain de pression apporté par le délais encore raccourci par l'ultimatum des ravisseurs, jouait sur ses nerfs comme Amati sur ses violons.

La main maléfique devait décidément suivre un très long bras. La créature, homme ou femme (Car William n'excluait pas cette possibilité, tant ce plan si noir soit il était bien mené), qui dirigeait tout ceci devait être assez puissante et riche pour entretenir une telle corruption. Mentalement, William fit renaître en esprit les visages des personnes présentes au gala. Le marionnetiste était il parmi ces invités. A n'en pas douter... Ce pourrait il d'ailleurs que ce soit la véritable cause de l'incendie... Tant de conjectures et si peu d'indices.


William rejoint Charlotte alors qu'elle hélait un cabriolet.

« Mlle Touttain, laissez moi vous accompagner, voulez vous ? »

Il ouvrit la porte de la voiture à la demoiselle.

William avait un peu perdu du temps en allant chercher son arme dans sa chambre.

Cette histoire de blessée violentée par des singes était certes une bien étrange coïncidences. Mais le reporter savait d'expérience que ce qu'on nommait coïncidences étaient souvent des signes que nous envoyaient la vie, le destin, la providence ou toute autre entité divine auxquelles on voulait bien apporter foi.
Quoiqu'il en soit, il n'allait pas laisser Charlotte partir seule rejoindre cette malheureuse. Quand bien même ce n'avait pas été par les singes bleus, la jeune femme avait apparemment été agressée par des malfrats qui voudraient peut être finir le travail. Charlotte avait déjà prit une balle, n'en faisons pas une habitude...

Il monta à la suite de la jeune institutrice.
« Sauriez vous par hasard où le bon docteur Alain prodiguait il ses soins macabres aux jeunes filles en difficulté ? »

L'idée était venu à William que cette pauvre fille était une de ces patientes surprise par l'arrivée des brigands venu voir le "bon" docteur en question.

William et Archibald durent courir quelque peu pour pouvoir sauter dans le même fiacre que Charlotte. Cette dernière précisa au journaliste que le docteur Alain opérait ses avortements dans une ville de province. Certainement un endroit où garder la fille discrètement quand la grossesse devenait visible.
Le conducteur les mena au cœur du quartier de Belleville, à quelques dizaine de mètres de l’endroit même où William avait retrouvé Basile et Anicet ce matin. L’anglais nota mentalement que c’était à ce moment-là que les gosses lui avaient parlé des singes bleus et du Capitaine Duport… Ces deux informations se recoupaient : Les singes bleus opéraient certainement dans ce quartier, ou à ses abords.

Le fiacre s’arrêta devant la maison de Charlotte, près de la chapelle Sainte-Claire, une annexe de l’église Sainte-Marie du Bas-Belleville. Dorine ouvrit aussitôt la porte, se doutant que le bruit des chevaux était lié à l’arrivée de son employeuse.
« Mademoiselle Touttain, la chiotte est réveillée. J’ai envoyé Jehan vous chercher de suite. » Elle fit un clin d’œil envers son fils, preuve qu’il avait bien agi.
Dans le hall, Dorine débarrassa Charlotte et les messieurs de leur manteau. Charlotte savait que sa patiente était située dans la pièce qui faisait office de « dispensaire ».
« Elle s’appelle Edwige Douville. Je dois prévenir ses vieux ? Elle les demande, mais j’attendais votre arrivée avant de le faire… »
Charlotte ne disposant pas du téléphone, Dorine devrait quitter la maison quelques temps pour cela. Ce qui expliquait pourquoi elle ne l'avait pas déjà fait.

……………………………………………

De son côté, le Capitaine Duchamp n’eut aucun mal à convaincre Philippe de céder quelques bouteilles du mythique Château Margaux 1870, selon les spécialistes la meilleure année pour la région de Bordeaux depuis que les classements de vins existaient. Vingt-huit ans plus tard, ce millésime serait un « passe » certainement trop élevé, mais Philippe ne voulait gâcher aucune chance de retrouver Sabine.

Un fiacre porta Auguste. De par sa fonction, Il n’eut ensuite aucun mal à s’introduire au cœur de l'Hôpital du Val de Grâce.

……………………………………………

De son côté, après le repas, Louis resta dans le salon du Comte de Saint-Périer. Il put y trouver les livres qui l'occuperaient la soirée, ou il pouvait également se reposer : La nuit serait longue.

En arrivant devant le domicile de Charlotte, William en était a présent véritablement persuadé. Il n'y avait pas de coïncidence.

Cette pauvre blessée n'avait été que la petite pierre dévalant la falaise et qui annonçait l'avalanche d'évènements à venir. Une petite pierre que l'on avait oublié sous l'énorme tas de gravas.

William tandis son cache imperméable puis son stetson à la dame de service de Mlle Touttain. Celle ci eut un mouvement de recul à la vue de sa cicatrice mais William ne portait plus attention à ses involontaires marques de dégout ou de peur. En revanche, il était étonné que Charlotte eut une domestique. Une sorte "d'aide de camps" rectifia t il dans son dur combat contre la pauvreté et illettrisme, se souvenant du récit de Charlotte dans le fiacre.

« Savez vous où habitent les parents de cette pauvrette ? » Demanda William.

Il espérait que ce soit à proximité. A la place des agresseurs, il serait allé directement chez les parents de leur victime, dans l'espoir qu'elle ai rejoint ce refuge, afin de faire taire un témoin gênant. Il y avait donc un risque quasi certain pour la gouvernante et une "chance" de tomber sur ces singes bleus.

Louis examina les livres du comte. Il en nota deux qui pourraient l'occuper sans souci.

Mais avant cela il sortit dans le jardin pour prendre une petite bouffée d'air frais. Il inspecta les différents plants du comte pour s'assurer de leur bon entretien puis se promena vers la roseraie.

Arrivé devant le buste il l'examina interrogatif. Ai-je déliré ou bien m'êtes vous véritablement apparue ?

Puis il flâna encore un instant avant de retourner dans le salon du comte.

Aussi profita-t-elle du voyage en fiacre pour résumer à ses accompagnateurs ce qu'ils allaient trouver chez elle :

• « Hier matin, la brave Dorine Mulot que je connais depuis longtemps et qui est aussi la maman d'un de mes élèves de l'école paroissiale, le petit Jehan qui est venu nous chercher [sourire en direction de Jehan qui écoute de toutes ses oreilles], m'a tirée du lit en tambourinant à ma porte. »
• « En ouvrant je l'ai trouvée avec une jeune fille sanglante de partout qu'elle maintenait à peine. Elle l'avait trouvée dans la rue dans cet état. Il m'arrive d'ouvrir ma porte et de faire dispensaire d'urgence pour les enfants du quartier ou leur mamans qui en ont besoin ... C'est pourquoi elle me l'a amenée. »
• « Nous avons procédé aux tous premiers soins et j'ai filé chercher un docteur, qui a accepté de venir, de la soigner au mieux, de nous établir une ordonnance et de nous indiquer les soins pour attendre qu'elle se réveille. La pauvre n'est pas passé loin d'y rester. »
• « Je n'avais pas encore de femme de charge et l'occasion m'a semblé appropriée pour embaucher à demeure Mme Mulot, et pouvoir ainsi assurer mes devoirs l'esprit tranquille et avoir l'occasion de faire faire ses révisions nécessaires à Jehan. »
  « Nous n'avons pas encore beaucoup travaillé Jehan, parce que les choses sont un peu empressées en ce moment, mais il faut que tu reprennes tes tables de multiplication. Tu as encore trop de mal avec ta table des 4 ... »
• « Jehan est donc venu me trouver chez Monsieur le Comte parce que cette jeune fille a enfin repris connaissance et qu'elle va pouvoir nous expliquer ce qui lui est arrivé. Elle était dans un état critique, il va falloir être très doux avec elle, elle est probablement encore en état de choc. »

Le domicile de Charlotte est une petite maison individuelle, à la porte de laquelle on accède par 3 petites marches.
La porte se situe au centre de la façade d'une dizaine de mètres, et est encadrée de 2 belles fenêtres.

Sautant du fiacre, Charlotte s'empresse de gravir d'un bond ces 3 marches et d'ouvrir précipitamment la porte, Jehan caracolant à sa suite.
Traversant le vestibule, elle s'empresse vers la cuisine pour y jeter un coup d’œil rapide . Cuisine dont elle ressort par la porte communicante pour se précipiter au chevet de la malade.

A leur arrivée, William et Archibald trouvent donc un petit couloir-vestibule avec, au fond, à niveau, une porte ouverte vers ce qui semble une cuisine et un escalier montant à l'étage, et plus avant dans le vestibule 2 double-portes fermées à droite et à gauche en avant de l'escalier, probablement des pièces à vivre.
C'est un intérieur modeste, sans fioritures, le parquet est à nu, les murs sont habillés d'un papier peint aux couleurs pastels et motifs délicats.

« Désolée Dorine, mais il est hors de question de prévenir ses parents pour l'instant. Je vous expliquerai pourquoi, mais il ne faut pas y aller, ni les faire prévenir. Vous avez très bien fait de ne pas les avertir avant mon arrivée, et il faut continuer comme ça. »

Charlotte avait trouvé sa maison correctement rangée et nettoyée. Dorine, pour la deuxième journée de travail régulier de sa vie, avait tenue à ce que tout soit parfait.
William et Archibald durent une fois de plus courir pour suivre Charlotte, pourtant encore blessée du coup de révolver de la veille. Archibald fut le plus lent, et dut régler le chauffeur du fiacre, mais cette préoccupation n’était pas la plus importante.

Dans la chambre du rez-de-chaussée, qui donnait sur la cuisine qu’ils avaient traversé, ils trouvèrent la jeune femme, toujours alitée.
Amochée, tuméfiée, mais vivante et réveillée. A demi-assise dans le lit, vêtue de la robe de nuit que lui avait prêtée Charlotte, les draps et couvertures la recouvraient jusqu’au ventre. L’œil droit ne s’ouvrait pas vraiment à cause d’une échymose, et elle aurait du mal à articuler, mais elle pouvait parler. Ce qu’elle fit.
« Vous êtes mademoiselle Touttain ? Dorine m’a parlée de vous. Merci pour tout ! Je pensais vraiment mon dernier jour venu. »

S'asseyant doucement sur la chaise qu'elle tire au chevet de la malade, Charlotte prend délicatement la main de la blessée et lui sourit gentiment.
« Nous aussi ! Nous avons eu bien peur pour vous ! » dit-elle en lui caressant maternellement le bord de la joue
« On ne va pas prévenir vos parents tout de suite. Il faut avant tout comprendre pourquoi vous avez été maltraitée ainsi ...
Pour l'instant vous êtes ici, à l’abri, et, comme nous ne connaissions pas votre nom, personne ne sait que c'est vous qui êtes là.
Vous avez été laissée pour morte, ce n'est pas le moment d'avertir vos agresseurs que vous êtes toujours vivante ... Vous comprenez ? »
Guettant la réaction de la malheureuse Edwige Douville, Charlotte poursuit très gentiment « Et maintenant, si vous nous expliquiez ... »

L'officier de "la coloniale" n'eut aucun mal à réclamer un porteur au responsable des plantons, dans l'entrée de l'Hôpital d'Instruction des Armées, à la figure de temple oecuménique avec son portail néoclassique et sa coupole byzantine écrasant de sa prestance "royale" les bâtiments "plus simplement" napoléoniens venus s'accoler à ses côtés.
Le port précautionneux de la caisse en bois donnerait un peu d'exercice à celui-ci (il s'agissait en principe des planqués qui non seulement avaient tiré le bon numéro* mais avaient aussi la chance d'avoir un papa au bras assez long pour les faire nommer à la capitale), à travers les longs couloirs de ses bâtiments, pour la plupart hérités des grandes époques régalienne et impériale... et de leur démesure architecturale.
En terrain connu, Auguste fila au plus vite avec son factotum jusqu'au mess des officiers, à la recherche du Maréchal des Logis-Chef Pluchot. Un homme de ressources, à l'oeil vif quoiqu'unique depuis l'incendie d'un obscur krak algérien qui lui avait aussi pelé l'épaule, la moitié du dos et la jambe, le dispensant du port obligatoire de l'uniforme -ce qui était une aubaine pour quitter les casernements (et encore plus les hôpitaux !) en se faufilant entre les civils (en perm'... ou pas)! Il n'avait qu'à troquer son bandeau réglementaire contre un oeil de verre d'excellente facture (sûrement pas issu des prothésistes de l'infanterie). De toute façon, pour l'officier d'Intendance, il n'y avait pas meilleure opportunité d'avoir "l'homme qu'il faut" pour recourir à des approvisionnements... non officiels. Le bonhomme darda l'oeil sus-nommé vers l'officier-chirurgien immédiatement identifié et détailla l'estafette à deux pas derrière lui, crispé sur sa boite de bois pyrogravée, affichant sans complexe ses nobles origines bordelaises (la boîte, pas le biffin...). Ce qui lui amena aussitôt un sourire... et un salut de convenance :
« Mon capitaine... qu'est ce qui me vaut si prestigieuse rencontre ?... »
Il ne parlait pas du capitaine, mais bien de l'or rouge millésimé qui l'accompagnait.
« Prestigieuse rançon à garder en otage : débarrassez-moi de tout ça, Maréchal des Logis-Chef ! »
Les deux hommes échangèrent un regard de connivence, laissant un instant suer le conscrit... au regard affolé cherchant quelque mouvement -rassurant- alentour.
« Arrête de trembler comme ça, bleusaille, tu secoues nos chéries. Pose-les là et retourne reprendre ton poste, Fissa ! »
Sitôt après la fuite du planqué, à vitesse rien moins que réglementaire, le borgne passa derrière le bar et servit deux verres...
c'était pas vraiment l'heure, mais comme c'était l'usage, Auguste trinqua et but une gorgée du "café de Meursault" :
« Aha ! La Bourgogne aussi fait de belles choses, hein, mon capitaine ?! Mais vous le savez, hein... même avec vos princesses je pourrais pas vous trouver les dernières mécaniques : c'est le diable, ces voitures sans cheval ! J'y touche pas, moi... »
« Ce qu'il me faut, c'est les démons qui se servent d'une de ces machines infernales pour piller Montparnasse. Des voyous, des renégats, probablement des déserteurs de l'infanterie et tu vas pas me croire, ils sont plus moches que toi : on les appelle les Singes bleus !
Un des clampins est surnommé Dudule, et c'est pas un malin. Sinon, ça te dit quelque chose un ex-capitaine Duport ?
Ou tu pourrais me rencarder d'ici ce soir ? C'est qu'i'y'a de la demoiselle en détresse là-dessous... »

*"tirer le bon numéro" à la loterie du recensement permettait de faire une seule année de service militaire.... sinon c'était trois (pour les autres). C'est l'origine de l'expression d'aujourd'hui...

Archibald avait payé le fiacre, pendant que ses camarades se précipitaient pour rejoindre la victime. Le vieil homme se hâta à leur suite, soufflant et pestant sur le fait que ce genre de chose n'était plus de son age depuis longtemps.

Une fois en présence de la blessée, le scientifique resta silencieux. Il n'était pas médecin et il avait envie d'avoir sa version des faits avant de se faire une idée...

William laissa Charlotte avec la pauvre blessée. Il se tint même hors de vue de celle ci. Non seulement mieux valait qu'un visage amical lui pose les questions, mais en outre celui - couturé de cicatrice - du reporter anglais ne pouvait qu'éveiller la terreur chez cette jeune fille torturée sans aucun doute par ces ignobles gueules cassées.

William en profita pour réitérer sa question à la brave Dorine, avant qu'il ne se fasse si abruptement interrompre par la "par trop vive" Charlotte.

« Madame Mulot, pouvez vous me dire où habitent les parents de cette jeune femme ? »