Monsieur Douville, malgré les mots apaisants de William, ne baissa pas son arme.
« Comme vous venez de le dire, vous devez comprendre que vous êtes la seule personne qui peut m’amener à ma fille. Et je ne connais même pas votre nom… ni votre apparence quand vous n’êtes pas grimé de la sorte… Un accent anglais, n’est-ce pas ? S’il vous arrive quelque chose, comment puis-je retrouver celle que vous détenez ? »
Un père ne laisserait certainement pas partir la seule personne qui peut lui donner des informations sur la localisation de sa propre fille, surtout s’il est en position de négocier. Une fois William parti, Douville se retrouverait seul avec des doutes insoutenables, et la culpabilité d’avoir laissé filer la seule personne qui pouvait l’aider.

« Quand à un meurtre… je vous rappelle que vous vous êtes introduit chez moi en force ! »
Le spécialiste du vinaigre laissa planer cette information. Même si William pouvait douter que la police ne mène pas d’enquête en cas de meurtre de sa personne, le problème pouvait être que Douville puisse penser le contraire.

« Conduisez-moi jusqu’à elle. »

« Très bien. » William rendit les armes. Encore une fois il regrettait d'avoir écouté son "bon cœur" mais il n'avait pu se résoudre à laisser ces parents dans la douleur du deuil ou pire, dans l'ignorance.

« Mon nom est William Mc Culleach. » Mentit il, utilisant le nom de jeune fille de sa défunte mère. « Je vais vous conduire auprès d'Edwige. Mais pour sa sécurité il va falloir me faire confiance. Nous ne devons absolument pas prendre le risque de mener ces criminels vers le sanctuaire où elle se remet. »

« M. Douville, vous allez vous éclipser discrètement par la porte de service et aller en fiacre jusqu'à l’hôpital Saint Louis au croisement Bichat, Alibert. Pendant ce temps, votre majordome va me chasser avec perte et fracas. Le temps de m'assurer que nous ne sommes pas suivis et je vous rejoins, je vous en donne ma parole de gentleman. »

« N'oubliez pas votre arme Douville car si malgré ces précautions, nous sommes repérés, vous devrez protéger votre fille au péril de votre vie car ces monstres n'ont absolument ni scrupule et moins encore de pitié. »

Monsieur Douville réfléchit. L'accord présenté ne lui plaisait pas : Il laissait tout de même William repartir. D'un autre côté, il venait de comprendre que, peut-être, certains des ravisseurs de sa fille attendaient dehors et réagiraient en fonction de ce qu'ils voyaient. Il fallait donner le change, au cas où.
« J'ai une autre idée, plus rapide : Je fais appeller un fiacre pour nous deux, en faisant mine de vouloir vous amener à la police. Puis nous bifurquerons vers le lieu où se trouve ma fille.
Allons-y. »

William ne put qu’accepter l’ « offre » de celui qui tenait le pistolet. Ainsi, un fiacre fut appelé, et une scène mal jouée d’homme outré emmenant un poivrot au commissariat de police ne fit applaudir aucun public.
Au bout de cinq minutes de trajets, ne se voyant pas suivi, Douville donna une nouvelle adresse au cocher, surpris.

William et Monsieur Douville, Edmond de son prénom, arrivèrent près de la rue de Belleville.
Edmond Douville frappa à la porte de Charlotte. William eut la présence d’esprit de demander au conducteur d’attendre un instant : Une autre course allait certainement être demandée.

Bondissant dès le premier coup toqué à la porte, Charlotte ouvre sa porte avec grand entrain pour stopper net à la vue de ce Monsieur qu'elle ne connait pas ...
Avisant William qui arrive enfin, elle roule à son encontre de gros yeux avant de faire signe au Monsieur inconnu d'entrer ...

« Monsieur ? »
... elle n'attend la présentation qu'une demi-seconde avant de tirer par le bras précipitamment William à l'intérieur
« On avait dit en toute discrétion ! Et ne rien faire qui puisse amener ici ces brutes !!!! » chuchote-t-elle à toute allure en refermant la porte aussi sèchement qu'elle l'avait ouverte.
« Tout le monde est là, on va pouvoir y aller ... Monsieur Auguste à trouvé ... » elle se tait brusquement devant l'homme à l'air impatient d'entendre ce qu'elle a à dire ...

« Mademoiselle. Je me présente : Edmond Douville. Je viens vous remercier de ce que vous avez fait pour elle : Monsieur Mc Culleach m’a tout expliqué. Et ne lui en veuillez pas, c’est moi qui ai insisté. »
Evidemment, la question qui lui brûlait les lèvres fusa enfin.
« Mademoiselle, où se trouve ma fille ? »

Charlotte se retient de fusiller du regard, une fois de plus, le journaliste en grommelant : « on avait dit qu'ils ne fallait pas qu'ils sachent où elle se trouvait avant qu'elle ne puisse les voir » avant de se tourner vers le père inquiet.
Parlant d'une voix douce et lui retenant délicatement le bras, elle tient à « préparer le terrain » avant de le laisser, ou pas, se jeter dans les bras de sa fille
« Monsieur,
Votre fille m'est arrivée ici aux portes de la mort, qu'elle a eu la grande intelligence de feindre au bon moment.
C'est ce qui lui a sauvé la vie. Cela a arrêté les exactions des brutes qui la détenaient et ils l'ont jetée sur la chaussée par la porte de leur véhicule.
Heureusement pour Edwige, ils se sont débarrassés d'elle à deux pas de chez moi et Madame Mulot me l'a amenée au plus vite.
Je tiens ici un petit dispensaire, j'ai procédé à l'urgence avant de quérir le médecin du quartier. Elle était dans un état lamentable.
D'après le médecin, maintenant qu'elle est réveillée, ses jours ne devraient plus être directement en danger.
Mais après les sévices qu'elle a enduré, je lui conseille les services d'une sage-femme.
Je crains des dommages irréversibles, et elle aura du mal à se laisser approcher par un homme avant longtemps, fut-il un père aimant et attentionné. »
Charlotte regarde Monsieur Douville au fond des yeux, autant pour vérifier qu'il l'a comprise à mi-mots que pour guetter sa réaction avant de poursuivre
« Je comprends votre élan de père, mais présentement elle a besoin d'être choyée avec le plus de douceur possible.
Je vous demande d'être encore plus tendre avec elle qu'on ne le serait avec un nourrisson, elle est encore terriblement fragile et plus encore émotionnellement que physiquement.
Nous avons veillé à ne lui présenter aucun miroir, essayez de retenir votre réaction quand vous la verrez.
Elle ne peut pas encore être transportée, mais vous constaterez qu'ici elle est aussi bien soignée que possible.
Nous sortons dans un instant libérer des griffes de ces sauvages une autre jeune fille enlevée la nuit dernière.
Une petite, plus jeune et plus fragile qu'Edwige ne l'était quand ils l'ont enlevée. »
Souriant et se redressant, d'un geste invitant le père à faire de même, elle pose la main sur la poignée de la porte de gauche du couloir.
« Votre fille est derrière cette porte, laissez-moi lui annoncer votre présence et m'assurer qu'elle puisse vous recevoir. » puis Charlotte se faufile dans la salle de repos où Edwige est installée, refermant à clé la porte derrière elle.

Dans la salle de repos, Charlotte, souriante et douce, s'approche délicatement d'Edwige .
Retapant gentiment son oreiller, elle annonce à la jeune fille :« Mademoiselle, votre père est ici.

Au moins maintenant il sait que vous êtes vivante et soignée, il sait que vous n'êtes plus prisonnière, il sait que vous êtes ici.
Le médecin a dit que vous ne pourriez pas être déplacée avant encore plusieurs jours, et je veillerai à ce que vous soyez soignée ici le temps qu'il faudra.
Je ne vous retiens pas ici mais je vous conseille de respecter l'avis médical, quelle que soit votre envie de rentrer chez vous.
Dès que nous aurons réussi à libérer Sabine, nous pourrons voir toutes les deux ensemble quelle visite vous voulez recevoir ou si vous préférez rester ici, protégée, le temps de vous remettre.
Ce sera comme vous le désirez, ... tant que vous n'envisagez pas d'inviter ces brutes chez moi » ajoute-t-elle dans une tentative de faire sourire Edwige
Ayant réussi à provoquer une petite réaction redonnant à la jeune fille quelques couleurs Charlotte lui demande :
« Votre père, ...
Vous voulez que je le laisse vous voir ?
Préférez-vous que je lui dise que vous dormez ?
Voulez-vous fermer les yeux le temps qu'on le laisse vous faire un bisou sur le front et tout de suite après je le sors de la chambre pour vous laisser vous reposer ? »

Charlotte sait que les présences masculines et que le regard d'un père peuvent être très difficiles à supporter après un viol.
Dans la situation actuelle, après de longs jours de sévices répétés, elle offre à Edwige toute la protection dont cette dernière peut avoir besoin.
Charlotte a déjà maintenu à la porte des maris violents et des pères abusifs, elle saura contenir un Edmond Douville si nécessaire, et cela se ressent dans son attitude.

Edmond Douville ne put en placer une tellement le flot de paroles de Charlotte l’en empêchait.
Il lui semblait devenir fou : Sa propre fille, qu’il pensait décédée, était présente, dans l’une de ces pièces, et on lui interdisait de la voir ! Heureusement pour sa santé mentale, il put apercevoir sa fille dans l’entrebâillement de la porte de la chambre quand Charlotte l’ouvrit pour y pénétrer. Il était à deux doigts de sortir son arme à nouveau !

Edwige eut une réaction cohérente avec ce qu’elle avait dit plus tôt, recherchant dans les bras patriarcal la protection et le réconfort : « Je… j’ai réclamé la présence de mes parents dès que je suis revenue à moi. Bien sûr que je souhaite voir mon père ! »
La porte fut ouverte, et Edmond entra en trombe dans la chambre. Pour l’heure, il était heureux de voir sa fille vivante, et la prit dans ses bras, oubliant toute contenance. Le « regard masculin » dont Charlotte prenait grand garde viendrait peut-être, mais plus tard.
Pour ne pas gêner, Charlotte laissa la famille Douville à leurs effusions affectives, et rejoignit les autres enquêteurs dans la salle d’attente…

Dans un premier temps, Charlotte veille à avertir Dorine : « pas de déplacement d'Edwige tant que le médecin n'a pas donné son accord » puis elle rejoint les autres dans le salon ....

Avant que Charlotte ne se lance dans son flots d'explication, William eut à peine le temps de répondre à ses remontrances.
« Premièrement il n'était pas question de laisser un père dans l'angoisse du deuil de sa fille, en outre lorsque nous serons tous partis à la recherches de ces monstres, il faudra bien quelqu'un pour protéger Edwige au cas - certes improbable - où ils auraient pu pister leur première victime. »

William suivit Charlotte et Douville qui déjà cherchait sa fille.

« Enfin, si nous échouons, il faudra bien quelqu'un pour ramener chez elle cette pauvre fille. »

Le reporter avisa Auguste.

« Des nouvelles mon cher Docteur ? » Demanda t il laissant momentanément Charlotte gérer le père d'Edwige et essuyant de son mouchoir la crasse qui lui maculait le visage.

Auguste avait obligeamment laissé Charlotte à ses prérogatives de maîtresse des lieux, en un soutien discret par sa seule présence. Lorsque Douville commença à s'énerver, il leva simplement une main vers lui avec un index en l'air pour lui signifier de patienter, avec une muette autorité, tandis que la fée du logis refaisait un aller-retour, avant d'autoriser le père à épancher très spontanément son émotion en ses retrouvailles inespérées... voilà une histoire qui se terminait bien.
Mais là n'était pas leur préoccupation principale.
A la demande de Willam, il ne put s'empêcher d'esquisser un sourire :
« Oui, mon cher... "Mac Culleach". Des informations stratégiques de première main par l'interrogatoire d'un complice. Ces singes aiment les uniformes et recrutent directement en sortie de chirurgie leurs gueules cassées -sauf votre respect. »Avec un clin d'oeil, il baissa le ton pour confier l'essentiel :
« C'est l'ex-abattoir Rochechouart, mais ils n'y seront que jusqu'à demain. Il nous faut donc agir au plus vite ; hélas, ils ont des appuis bien placés, militaires, politiques et probablement même policiers à ce que j'ai pu déduire. C'est pourquoi ils n'ont pas encore été attrapés et changent si souvent de planque. Et tout est lié à ce fameux Magnolia : argent, politique et corruption. J'ai fait recruter quelques hommes de confiance qui nous attendent près de l'Église Saint Bernard, il faut nous y rendre immédiatement, si Louis et Archibald veulent en être... aheum... on pourrait peut-être s'éclipser sans exposer une autre demoiselle... »
L'officier était prêt à s'exposer aux malfrats, plus facilement qu'à argumenter face à la vindicte de la téméraire bienfaitrice locale...

« Messieurs .... j'ose espérer que vous n'avez pas l'intention d'aller, sans moi, chercher Sabine ? » demande innocemment Charlotte en revenant dans la pièce.
« Vous n'auriez tout de même pas le manque de tact de me laisser à l'arrière ? »

Après un sursaut de surprise, Auguste haussa les sourcils le plus innocemment du monde et réussit à répondre sans bégayer :
« Ah euh ? Eh bien... c'est une excellente suggestion ! Enfin, je veux dire... n'oubliez pas que vous venez de subir deux importantes blessures... je ne sais par quel miracle vous gardez autant d'énergie (et vous remettez si vite...) ; c'est sans doute recette aussi excellente que votre café qui accompagnait cette délicieuse collation que vous venez de réaliser... »
aheum... aheum... n'en fais pas trop, Auguste...

Louis hésitait réellement. La perspective d'aller se frotter à un groupe de canailles armées ne l'enchantait guère. De plus le souvenir qu'il gardait de sa dernière rencontre avec l'un d'eux lui glaçait le sang.

Il n'avait néanmoins aucun argument qui pourrait justifier de ne pas aller secourir la fille du comte. « Je suis prêt. Espérons que tout se passera bien. »

« Aller... Mais vous étes fou? Je n'ai jamais eu le physique pour ce genre de choses et en plus, ce n'est plus de mon age! »

Le scientifique réfléchit un instant avant d'ajouter:

« Et je crains d'être une gêne plus qu'autre chose, pour le coup... Mais ne venez pas dire que je ne vous ai pas prévenu! »

Récupérant son manteau et se dirigeant vers la sortie, Archibald enchaîna:

« Bon alors? Vous prenez racine? Je n'ai plus toute ma vie devant moi! »

« J'arrive ! » clame Charlotte.
« juste une minute pour finir de voir avec notre invité surprise... » à ces mots, accompagnés d'un regard dur à l'intention de William, elle se précipite vers la chambre de repos où repose la malade enlacée dans les bras de son père.
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« Monsieur, je vous demande de quitter les lieux. » déclare fermement Charlotte en entrant dans la pièce
avant d'expliquer « Nous sortons.
Et je tiens à fermer ma maison à clé.
Mme Mulot continuera à veiller sur Edwige aussi bien qu'elle l'a fait jusqu'à présent. »
puis, puisque l'idée lui semble bonne, elle propose en souriant à M. Douville :
« Nous allons tenter de libérer la jeune fille dont je vous ai parlé, et si vous souhaitez vous expliquer en personne avec les ravisseurs de votre fille, vous avez là l'occasion de nous accompagner.
Quoi qu'il en soit et jusqu'à ce que ces malfrats soient sous les verrous je vous demande de ne communiquer à personne le lieu où se trouve Edwige. Je ne tiens pas du tout à voir ces brutes débarquer chez moi, fussent-ils déguisés en forces de l'ordre. »

Visiblement, les enquêteurs prenaient Monsieur Douville pour un moins que rien, un pion à qui on dit ce qu’il doit faire. Leur outrecuidance dépassa les bornes de l’entendement quand Charlotte résolut de le mettre hors de chez elle.
« Madame, je vous serai éternellement reconnaissant pour votre geste envers ma fille. Mais vous comprenez que ma place est ici, pour la défendre, désormais. Sauf si je l’emmène avec moi dans notre maison. Je resterai ici, afin de mieux la protéger. Juste vais-je téléphoner à mon épouse, afin qu’elle ne s’inquiète plus… »


Les amis du Comte Firmin de Saint-Périer s’en allèrent donc rechercher sa fille. Il fut plus difficile pour eux de trouver un fiacre, l’heure avançant dans la nuit. Il était déjà deux heures du matin !
Malgré tout, ils finirent par poser leurs pas face à l’église Saint-Bernard, dans ce quartier de la goutte d’or. D’une architecture moderne, celle-ci avait été construite moins de quarante ans plus tôt, alors que le village de la Chapelle n’avait pas encore été annexé par Paris. Consacré en 1861, elle avait été érigée en la mémoire de Bernard de Clairvaux, qui serait passé en ce village il y avait plus de neuf cent ans…

Sous le feuillage d'encre des platanes, William regarda la flèche de l'église qui semblait épingler les étoiles.
Il sortit son révolver et vérifia qu'il était chargé.

« Rochechouard parait un choix logique. » Murmura t il à la fois pour lui même et ses compagnons. Il regarda en direction du sacré cœur masqué par les hautes façades. « Ils sont presque à mi chemin entre Saint Périer et Douville. Pas loin de la rue Riquet où devait être déposé la rançon d'Edwige. »

« Vos renforts viennent sans aucun doute à point. » Dit il à Auguste, remisant son arme dans sa poche intérieure.

Charlotte serre son châle par dessus son manteau, d'avantage par appréhension qu'à cause de la température nocturne.
attendant fébrile la suite des évènements et pour une fois sans ajouter un mot.