C'était la fin de son trajet qui approchait. Encore une demi-journée et avec un peu de chance, Nakan allait savoir pourquoi il avait été appelé à quitter sa famille, à quitter ses clans, pour venir à Pointesable.

Nakan, ou Lucian comme il se présentait parfois, était un homme en pleine force de l'âge. Doté d'un corps plutôt séduisant, de longs cheveux soyeux, d'une peau tânée par le soleil et les voyages, le métis se sentait de bonne humeur.
Il était torse nu, vétu en tout et pour tout d'un pagne ample plus solide qu'il n'y paraissait, couvert de tissus verts avec une touche de bleu et de orange, et d'une simple paire de chaussures en cuir.
Des tatouages divers, uniformément bleutés, couraient sur sa peau, d'un coude à l'eau et jusque sur son visage.

Jouant un air heureux sur son violon tant qu'on le laissait faire, Nakan s'attendait à ce que tôt ou tard on lui demande de faire moins de bruit. En attendant, il profitait que la route soit en bon état pour jouer sans trop rater de notes à cause des cahots.
Ayant fini un morceau, le musicien s'interrompit le temps de discuter un peu.

« Dis-moi Alika, y a t-il des problèmes à Pointesable ? Tous ces gardes en arme pour cette caravane, et je sens les marchands aussi tendus que les soldats. Nous attendons-nous à des ennuis ? »

Nakan hocha la tête, plusieurs fois. « Je vois, je vois.

Me voilà rassuré, la ville devrait être encore là à notre arrivée et, je l'espère, l'alcool y coule à flots. Mais peut-être devrais-je ranger le violon et dégager mon arbalète, pour la fin du trajet. Qu'en penses-tu ? Nous serons bientôt arrivés, je présume. »

Tout en discutant en affectant un air badin, le shoanti promenait son regard aux environs, surtout en avant de la caravane. Les gardes faisaient très bien leur travail, mais une paire d'yeux supplémentaire ne faisait jamais de mal en telle occasion.

« À quoi ressemble la ville ? De mémoire, je n'y suis jamais passé. Ou si c'était le cas, j'étais alors tout minot. »

Nakan acquiesa et dégagea son arbalète pour la poser à côté, reprenant ensuite le violon pour jouer doucement, sans couvrir les paroles d'Alika. L'écoutant avec attention, Nakan sourit à plusieurs reprises, notamment lorsqu'elle parla d'alcool ou des filles des environs. Il se signa quand la marchande parla du prêtre mort. L'ensorceleur hocha la tête quand Alika parla du verre de Pointesable, il en avait déjà entendu parler, il en avait déjà vu.

« Cette cathédrale, est-elle dédiée à un dieu en particulier ? Qu'en est-il de Desna, là-bas ? Mes deux familles l'adorent, tu sais. Après tout, qui d'autre que la déesse des voyages saurait mieux veiller sur des nomades ? »

Un papillon l'avait mené jusqu'ici, aussi Nakan, maintenant libre de vaquer à ses affaires, décida de se rendre à la cathédrale. Il n'était pas pressé, aussi se promena t-il au hasard, observant le paysage et les habitants.

Alika avait raison, il y avait de jolies filles en ville. Sans être venu pour ça, Nakan le reconnaissait néanmoins volontiers.
Il se promenait, le violon à la main, ses affaires sur le dos. Nakan se disait qu'il finirait bien par échouer devant la cathédrale. Là-bas, peut-être recevrait-il un signe, ou une discussion avec le prêtre Zantus pourrait l'aider à se mettre sur la bonne voie.

Il était tôt. S'il était sage de trouver un logement pour la nuit, Nakan se disait que ce n'était pas pressé. Et au pire, ce n'était pas au shoanti qu'on apprenait à camper.
Tout en marchant, le violonniste se mit à jouer.

Après avoir sursauté, surpris de n'avoir pas senti venir le prêtre à ses côtés, Nakan hocha silencieusement la tête. Oui, ce vitrail était magnifique. Laissant le père Zantus parler, le shoanti attendit son tour dans la conversation. Il n'eut pas à attendre longtemps.

« Cette cathédrale mérite son nom. C'est certain.

Je m'appelle Nakan, c'est un plaisir que de faire votre connaissance, mon père.

Si vous pouvez m'aider ... » Le regard de Nakan se reporta sur le vitrail, songeur.
« ... Je l'ignore mais peut-être bien.
J'espérais guetter un signe, un indice en venant ici. Un présage m'a guidé jusqu'à Pointesable ... mais j'ignore pourquoi. Desna soit bénie, elle agit souvent ainsi dans les histoires ... mais c'est surprenant d'en être le destinataire. Me voilà arrivé à destination ... ou n'est-ce que le départ ? Je ne sais pas. Peut-être devrais-je attendre, peut-être le chemin se révélera en temps et en heure.
Après tout, ce n'est pas un mortel qui fera se dépêcher une divinité », conclut-il avec un clin d'oeil suivit d'un petit rire amusé. Il ne voulait pas paraitre trop égocentrique, à parler de signe de Desna et ces choses-là. Il n'était qu'une personne parmi des milliers de fidèles. Et d'autres bien avant lui avaient reçu un jour ou l'autre un songe les guidant quelque part. Il n'avait rien d'exceptionnel.

« Comme souvent avec Desna, ça a commencé par un papillon. J'accompagnais notre shaman pour une prière à l'intention de Desna, jouant de mon instrument tandis qu'il sculptait des nuages de fumées, aidé par ses mains agiles. Ce papillon de fumée, poussé par un souffle dans ma bouche, me fit voir d'étranges visions.

Une cathédrale, où des gens fêtaient je ne sais quel événement. Une immense caisse ouverte, d'où s'échappaient des milliers de papillons. Les étoiles, dansantes, accrochées à la voute céleste. Mais les papillons disparaissaient, avalés par un monstre à trois yeux, à l'allure canine. Les étoiles s'éteignaient, dévorées par les ténèbres.

Et soudainement, Murmure-du-ciel, le shaman, qui me secoue frénétiquement. Je ne l'avais pas vu se déplacer. Je lui ai demandé ce qu'il lui arrivait. Il me répondit que je m'étais soudainement mis à jouer une musique funèbre, que je ne réagissais pas quand ils m'interpelèrent. Mais je ne les avais même pas entendu. Ni vu. L'espace d'un moment, il n'y avait que ces étoiles, cette cathédrale, ces papillons. »

Nakan prononça ces derniers mots avec lenteur, comme si en s'échappant de sa bouche, ils reprenaient réalité.

« Pour conclure ce présage des plus étranges, un papillon bleu, un papillon magnifique, se posa sur mon archet. Lorsqu'il s'envola, passant à côté de ma tête, je crus entendre un mot. Pointesable ...
Ici.

Normalement, je n'écoute pas les papillons quand ils me parlent, mais en l'occurrence ... »

Il avait sourit un peu en faisant cette blague, même si il ne se sentait pas vraiment de rire. C'était plutôt pour rassurer son interlocuteur, et alléger l'ambiance de la discussion, que le shoanti s'était permis cette pointe d'humour.
Nakan, repensant à la cathédrale de son songe, chercha à la comparer mentalement à celle dans laquelle il se trouvait. Le point de vue était différent, certes, mais la façade était-elle la même ?

C'était bien la même ...

« Eheh, ça vous pouvez le dire.

Sur le culte, ses ennemis ... pas grand chose, je dirais. Ce que tout le monde sait, bien sûr. Les Lyryne-Quah la vénèrent, mais nous avons nos propres rites, nos propres histoires. Et leurs dépositaires, ce sont les chamanes.
Je sais également qu'elle est la déesse de la lune, des étoiles et des espoirs. Qu'elle est la divinité des voyageurs et des nomades.

En y réfléchissant, je suis certain que la cathédrale de ma vision était celle où nous trouvons en ce moment-même. C'est pourtant la première fois que je la vois. »

« Je vois ... si La Monstrueuse est impliquée ... »

Nakan réfléchit. Est-ce que ces héros se sentiraient concernés ? Et lui, que devait-il faire après leur avoir porté le message ?
Décidant qu'il ne pouvait pas déterminer ce genre de questions, le shoanti fit le choix de se laisser porter par les événements, pour le moment.

« Et où pourrais-je trouver ces héros, s'il vous plait ? »

« Je vais m'y rendre alors.
Merci pour votre aide mon père. Vous vous excusez pour rien, car vous m'avez été d'un grand secours.
Je vous souhaite une excellente journée. »

Prenant congé tout en remerciant chaleureusement l'homme de foi, Nakan suivit la nouvelle piste qui s'ouvrait à lui. Trouver ces héros locaux.

Nakan s'approcha de la tenancière de l'auberge et salua d'un signe de tête, respectueux.

« Bonjour et merci pour votre accueil. Je m'appelle Nakan.
C'est le père Zantus qui m'a indiqué de venir dans votre établissement. Je .. voudrais rencontrer les héros de Pointesable. Ils logent ici, n'est-ce pas ?
J'aimerais les rencontrer. S'ils y consentent, bien entendu.
C'est .. Desna qui m'envoie ? »

Le shoanti sourit de toutes ses dents.